Paroles d’artiste

Valérie Mréjen

« Je m’oriente progressivement vers le cinéma »

Par Anaïd Demir · Le Journal des Arts

Le 19 novembre 2004 - 750 mots

Auteure de romans comme Mon grand-père (1999) ou L’Agrume (2001), parus aux éditions Allia, Valérie Mréjen, née en 1969 à Paris, élabore depuis plusieurs années des saynètes vidéo où les jeux de langage, la parole, le récit sont mis en avant. Pour son exposition à la galerie cent8, à Paris, elle s’est intéressée au monde religieux, et son œuvre a pris des accents documentaires. Nous avons rencontré l’artiste à cette occasion.

 Que présentez-vous à la galerie cent8 ?
Une vidéo de 12 min intitulée Dieu. C’est une suite de portraits. Le dispositif est assez proche de ce que j’avais présenté à la galerie il y a deux ans avec Portraits filmés, une vidéo pour laquelle j’avais demandé à des amis et connaissances de raconter un souvenir. Ici, les gens sont également filmés face à la caméra et livrant une histoire personnelle, mais cette fois, sur un thème particulier. Je suis partie tourner en Israël, à Tel-Aviv, avec l’idée de réaliser un projet sur les personnes issues de familles juives ultra-orthodoxes, et qui ont décidé de devenir laïques. L’on parle peu de ce phénomène, car le monde religieux se vante plus volontiers de gagner de nouveaux adeptes et de prendre de l’ampleur ; parallèlement, les gens nés dans des familles très religieuses essaient plutôt de se fondre dans le monde laïque. Celui-ci ne tient pas un compte minutieux des nouveaux venus…

Est-ce un monde, le religieux, que vous connaissez bien ?
C’est un monde que je ne connaissais pas, mais je m’y suis intéressée, à cause entre autres du retour généralisé vers la religion, vers l’intégrisme, que l’on constate actuellement. Je me suis dit que ça faisait du bien de voir que l’inverse existait aussi, et ce parmi des gens venus de milieux aussi fermés, radicaux et coupés du monde, qui n’ont pas accès à la culture, qui ne lisent que des textes religieux, qui vivent réellement dans un autre siècle.
C’est assez satisfaisant intellectuellement de savoir que, même dans un cadre aussi étroit et verrouillé, il peut y avoir des fuites, des personnes parvenant à s’échapper, qui regardent autour d’elles et ont suffisamment de courage pour s’affranchir. Elles se retrouvent généralement sans rien et sont reniées par leurs familles. Dans ces communautés, les gens ne peuvent pas exister par eux-mêmes. Il n’y a là pas d’individualité possible. Ceux qui décident de devenir laïques sont donc rejetés et mis au ban. Ils doivent se débrouiller tout seuls. D’ailleurs, il existe une association de soutien qui leur trouve des familles d’accueil. Parfois, l’armée représente aussi une planche de salut : ils sont pris en charge pendant trois ans, c’est un moyen pour eux d’intégrer le monde laïque.
Ce sujet m’a tellement intéressée qu’à la suite de la vidéo j’ai écrit un projet de documentaire plus long que nous avons présenté à Arte. Je l’ai tourné dans la foulée. C’est un 52 min, qui a pour titre Pork & Milk, c’est-à-dire « Porc et lait » soit le summum de la transgression dans la religion juive : le porc est interdit, et l’on ne doit jamais mélanger viande et produits laitiers. À la galerie, on peut visionner quelques rushes du film. Il y a aussi une série de portraits photographiques « avant/après », d’anciens religieux aujourd’hui devenus laïques, à qui j’ai demandé une photo d’eux ancienne. Un espace de consultation permet par ailleurs de voir ou de revoir certaines vidéos, et de découvrir une série de photographies commencée récemment.

Votre travail serait-il en train de prendre une orientation documentaire ?
Dieu marque la fin d’une série de travaux : je m’oriente progressivement vers le cinéma. Le changement est sensible à travers les notions de durée, de format, de structure, mais aussi dans l’idée du travail en équipe. Jusqu’à présent, j’avais adopté des formes brèves, et la vidéo s’y prêtait. Je m’intéresse en ce moment à des narrations plus approfondies. Cette exposition marque pour moi une étape. Je ne sais pas ce qui viendra après, mais pour l’instant, je commence à co-écrire un long-métrage.

Celui-ci est-il en rapport avec vos livres ?
Oui, il y a toujours un rapport. Cela reste toujours un peu autobiographique, mais ce sera une fiction.

Un livre en projet ?
Cette année, j’ai envie de me consacrer à l’écriture du scénario. C’est un projet de longue haleine : il y a d’abord l’écriture, puis les repérages, le casting...

DIEU

Jusqu’au 18 décembre, galerie cent8-serge le borgne, 108, rue du Vieille-du-temple, 75004 Paris, tél. 01 42 74 53 57, du mardi au samedi 10h30-13h, 14h30-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°203 du 19 novembre 2004, avec le titre suivant : Valérie Mréjen

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