Friche

Pékin, cité ouverte

Par Gilles de Bure · Le Journal des Arts

Le 19 novembre 2004 - 642 mots

Dans la capitale chinoise, c’est au cœur de l’Espace 798 que s’élaborent aujourd’hui la plupart des stratégies contemporaines.

 PEKIN - Dans son ouvrage (1) paru en avril, Michel Nuridsany signale brièvement la toute récente mise en route de « Reconstruction 798 », qui « s’affirme comme le lieu d’exposition le plus dynamique de Pékin avec ses lofts d’artistes et ses immenses galeries ». À peine six mois plus tard, voici que paraît un imposant livre (2), publié sous la direction de Huang Rui et consacré à  ce lieu déjà devenu mythique que chacun, à Pékin comme dans les allées de l’art contemporain international, n’appelle plus que « 798 ».
À l’extrême nord-est de Pékin, à la limite du quatrième périphérique, un vaste ensemble industriel a été édifié, à la suite d’accords passés en 1954 entre Mao Tsé-Toung et Staline, par des architectes et des ingénieurs est-allemands. Il est inauguré en 1957. Ces usines d’État, comme il se doit, passeront progressivement de la fabrication de radios sans fil à celle de composants électroniques pour l’armée. Résultat, quelques hectares de bâtiments industriels d’une grande beauté, où domine la brique, et qui structurent le quartier excentré de Dashanzi. L’ouverture économique et politique de la Chine a considérablement modifié la nature de cet ensemble industriel, privatisé et vendu au Seven Stars Group. Objectif : tout détruire et reconstruire logements et usines modernes. La spéculation immobilière va bon train à Pékin... En attendant, les usines désaffectées se transforment en hôtels industriels à location temporaire. Les loyers faibles attirent les artistes, qui y installent leurs ateliers. Parmi eux, Huang Rui, qui voit là l’occasion de créer une entité autrement plus dynamique. Il imagine lui-même des circulations et des traversées pour unifier le tout, restructure la grande galerie 798 (dont le numéro donnera son nom à l’ensemble), mobilise d’autres artistes et attire même dans ce lieu improbable un galeriste de Tokyo, lequel y ouvre le premier lieu commercial : la Beijing Tokyo Art Project.
Et puis, tout s’accélère. D’autres artistes, d’autres galeries, d’autres aventures investissent Dashanzi. Les ateliers sont libres d’accès ; des expositions, des événements et des performances s’y organisent ; la musique, la mode, le design sous toutes ses formes viennent renforcer les arts plastiques. Une librairie, des boutiques, des bars, des restaurants y fleurissent et mêlent leurs activités à celles des usines non encore fermées ou délocalisées.
Critique d’art, agente culturelle et organisatrice d’événements, Bérénice Angrémy, qui a installé son bureau au cœur de 798, confie : « Il se dégage de ce lieu une sorte de magie. Il y règne un climat d’énergie, de spontanéité et en même temps de rigueur tout à fait incroyable. Les événements s’y succèdent à un rythme accéléré, et le mélange des genres constitue un moteur efficace. »
En mai, les quelque soixante artistes, les architectes, designers, graphistes, stylistes, galeristes et libraires de 798 y organisent le premier « Dashanzi International Art Festival », dont le succès éclatant entraîne la reconstruction du site. Au-delà de ses activités, l’expérience 798 à Dashanzi est également la démonstration d’une campagne de reconversion/réhabilitation architecturale exemplaire. Des espaces industriels majestueux y ont été dégagés, magnifiés, amplifiés avec une justesse et une modestie sans pareilles. Et demeurent, de-ci de-là, peints sur les murs en lettres gigantesques par les précédents occupants des lieux, des slogans tel celui qui orne les cimaises de la Beijing Tokyo Art Project : « Le président Mao est le soleil rouge de notre cœur. » Et dont on ne sait s’ils sont témoignages de révérence ou d’irrévérence, de prudence ou de mémoire...

(1) Michel Nuridsany, L’Art contemporain chinois, photographies de Marc Domage, Flammarion, 2004, 264 p., 49 euros, ISBN 2-08-011301-1.
(2) Beijing 798 Reflections on Art, Architecture and Society in China, sous la direction de Huang Rui, Timezone 8 and Thinking Hands, 340 p, anglais, 40 dollars (environ 30 euros), ISBN 988-97262-3-8.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°203 du 19 novembre 2004, avec le titre suivant : Pékin, cité ouverte

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