Chine - Architecture

Paul Andreu

Pékin : l’Opéra Pastille

Par Gilles de Bure · Le Journal des Arts

Le 3 décembre 2004 - 750 mots

PEKIN / CHINE

De quoi s’agit-il ? D’un palet de curling glissé jusqu’ici ? D’une pastille pharmaceutique au miroitement rutilant, d’un hommage à Buckminster Fuller ou encore d’une réminiscence de la « Drop City », élevée, à l’orée des années 1970 et en plein désert, par Steve Baer… ? Peut-être est-ce un ovni, venu s’échouer là, sur les arrières de ce gros gâteau stalinien des années 1950 qu’est l’Assemblée nationale de la République populaire de Chine et qui borde la place Tienanmen ? Le tout à une encablure de la Cité interdite, du mausolée de Mao et du Musée des minorités ethniques…
À moins qu’il ne s’agisse, plus subtilement, d’une référence à ce magnifique « architecte révolutionnaire » que fut Étienne Louis Boullée (1728-1789) ? Quoi qu’il en soit, le Grand Théâtre National de Chine, que tout le monde appelle déjà l’Opéra de Pékin, jaillit en majesté des profondeurs de la terre, immense coque ellipsoïdale posée au milieu d’un lac. Cet îlot culturel, signé Paul Andreu et culminant à 46 m de hauteur, est le tout premier des grands projets lancés à Pékin, parmi lesquels l’aéroport de Norman Foster, le controversé siège de la CCTV de Rem Koolhaas, le stade olympique d’Herzog & de Meuron et la piscine non moins olympique de l’équipe australienne PTW, assistée par les ingénieurs de la multinationale Ove Arup, ont déjà fait couler beaucoup d’encre...
C’est que le Pékin contemporain s’édifie à grand train, épuisant, entre autres, les réserves d’acier du monde entier (les Chinois ont programmé, d’ici à quinze ans, 500 millions d’habitants en plus dans les villes !). Les tours y jaillissent au rythme des geysers islandais, curieusement chapeautées de tempiettos, coupoles, édicules, villas modernistes du plus étrange effet.
Rien de tel au long de l’avenue Chang’an, l’axe central de Pékin, où l’opéra Andreu – lequel n’a consommé que 7 000 tonnes d’acier – abrite en son plus haut niveau un foyer discret, mais largement ouvert sur la ville.
Démarré en 2001, le chantier trouvera son aboutissement en octobre 2005, date à laquelle il sera inauguré avec « une générale » (opéra, concert, ballet ?) unique, puis fermé à nouveau pour six mois afin de procéder à tous les réglages.
Étonnamment minéral, il mêle métal (une structure d’acier recouverte d’aluminium et tendue de titane), pour sa plus grande part, et verre pour une trouée magistrale qui permet le jour d’éclairer l’intérieur et, la nuit, d’en révéler le contenu à l’extérieur.
Trois salles se partagent l’ensemble : un opéra de 2 416 places, une salle de concert de 2 016 places et un théâtre de 1 040 places. Le tout pour une surface totale de 150 000 m2 que les salles de spectacle n’occupent pas complètement.
Paul Andreu a voulu que son opéra soit un lieu public, traversant et traversé. On y accède par une galerie longue de 60 m, transparente, placée sous le bassin. Un bassin qui perpétue et conclut l’alignement des lacs qui flanquent la Cité interdite. En outre, des espaces de création, d’exposition, de dilection et de consommation destinés aux publics les plus divers et largement ouverts sur la ville cohabitent.
Soit un espace éminemment urbain, une ville dans la ville, pénétrable et accessible. D’autant qu’une résille de métal qui laisse traverser le regard vient en renfort du titane. Réflexion permanente sans le moindre sentiment de barrière. Ce qu’Andreu lui-même qualifie de « jeu d’enveloppes successives, de passage et de traversées, de transparence et de lumière ». Et d’ajouter : « Au fond, la forme du projet est en quelque sorte la démonstration que le travail d’un architecte est au moins pour moitié de favoriser le passage. »
Projet aérien donc, dont l’essentiel est souterrain. Favorisant la logistique, Andreu a situé salles et locaux techniques à un niveau – 7, organisant ainsi un jeu de rampes d’accès et de livraisons invisible et, de fait, évitant la trop fréquente et malencontreuse façade de services. Ce qui reste visible est alors organisé comme une gigantesque scénographie urbaine en parfaite adéquation avec le propos même du lieu. Quant à ce qui est invisible, il renvoie à nouveau à Boullée, à propos duquel André Chastel écrivait : « Il n’y a pas seulement l’inventeur de “l’architecture ensevelie” et de “l’architecture des ombres”, dont le développement sur les “monuments funéraires ou cénotaphes” – avec le projet de monument à Newton qui le complète – mérite de compter parmi les belles pages du romantisme... »
Et comme justement, pour les Chinois, la France est le pays romantique par excellence… !

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°204 du 3 décembre 2004, avec le titre suivant : Pékin : l’Opéra Pastille

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