Panorama

Le silence est d’or

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 3 décembre 2004 - 882 mots

L’exposition « Sons & lumières, une histoire du son dans l’art du XXe siècle » organisée par le Centre Pompidou, préfère au son lui-même sa retranscription plastique.

 PARIS - « Zang, toumb, toumb ! » Entendons-nous : « Sons & lumières, une histoire du son dans l’art du XXe siècle » est une belle exposition qui mérite assurément la visite. « Zang, toumb ! », mais c’est une belle exposition qui rate sa cible. « Poum, toumb ! », qui déçoit en tout cas l’ambition d’ajouter à un parcours historique, riche en œuvres d’une densité exceptionnelle, une vraie dimension problématique pour aujourd’hui, entre deux bruits futuristes. « Zang, toumb, zang, toumb ! », la fin de parcours en queue-de-poisson le révèle assez : les préoccupations contemporaines resteront dans le hors-champ. La visée historique est essentiellement rétrospective, et marquée finalement par l’attachement du musée aux objets. Bien peu sonore, finalement : malgré le sous-titre de l’exposition, il ne s’agit pas tant d’une « histoire du son dans l’art du XXe siècle » que de la traduction plastique de celui-ci, sujet qui lui-même se perd au fil du parcours, en particulier dans l’énorme salle Fluxus qui fétichise des reliques sur divers catafalques, estrades et autres vitrines au point de friser le hors-sujet. À l’image du piano vêtu de feutre de Beuys, le sonore y est étouffé, réduit à un ou deux moniteurs... comme s’il avait disparu avec le « silence » de Cage, présenté dans une salle d’une raideur clinique et pieuse, ou dans le saisissant couloir acoustique de Bruce Nauman.

Machines rêvées
Bien sûr, le projet de montrer le son est une gageure, comme le sait bien Guy Schraenen, collectionneur de pièces sonores devenu commissaire d’exposition : « Le son de toute façon, cela ne se montre pas : cela s’écoute. Or ici, il n’y a pas de son. Il est juste un prétexte pour montrer des tableaux. Bien sûr, il y a des peintures que l’on est ravi de voir. Mais des peintures qui parlent bien plus de la peinture que du son. Pourtant il y a des artistes qui ont une activité sonore pure, autonome, à côté de leur œuvre de peintre. Un absent comme Dubuffet, par exemple. » Voilà bien en effet où achoppe le projet même de l’exposition, dans la définition de son objet, qui semble n’avoir pas résisté à la bicéphalie du commissariat de Sophie Duplaix et Marcella Lista. Pourtant, les trois sections proposent une articulation qui permet d’échapper à la linéarité strictement historienne. La notion de « Correspondances » renvoie au rêve romantique de porosité entre les arts, fertile aliment de l’abstraction naissante inspirée par la musique. Kupka et Kandinsky, Klee et Morgan Russell ont travaillé à partir de l’hypothèse d’une analogie, laquelle conduit au développement de figures du rythme et de dynamisme, fondé entre autres sur le parallélisme entre gamme musicale et gamme chromatique. Analogie graphico-rythmique quand Picabia en 1913 et Mondrian en 1942 pensent au jazz. La machine vient aider au passage entre les mondes esthétiques : machine rêvée de Duncan Grant dès 1914 ; piano optophonique  (1922-1923) de Vladimir Baranoff-Rossiné ; Synchrome Kineidoscope de Stanton Macdonald-Wright ; Clavilux Junior de Thomas Wilfred, sorte de juke-boxe à couleurs, au début des années 1930, alors que les Alexander László s’exercent à la musique chromatique ou les Boris Bilinsky aux dessins animés.

Énergie moderniste
Toute la section est portée par l’énergie moderniste d’alors, qui demeure jubilatoire pour le visiteur d’aujourd’hui. Mais c’est surtout le dispositif du cinéma qui est au cœur de l’échange, dispositif que Viking Eggeling et Hans Richter, toujours au tournant des années 1920, avant les Oskar Fischinger et bientôt les studios Disney, explorent avec une verve que le cinéma expérimental n’a depuis le milieu des années 1930 toujours pas épuisée : à preuve les œuvres de Len Lye ou de Smith et Whitney. Dans la section « Empreintes », le transfert d’un mode esthétique à l’autre se fait plus machinique, avec les projets de l’optophone de Raoul Hausmann et ceux de Moholy-Nagy. Mais le cinéma ouvre ici encore des expériences des plus fascinantes, de Pfenninger en 1931 à Sharits (Shutter Interface, 1975). Enfin la vidéo permet à Nam June Paik (1963) et à Gary Hill (installation de 1978-1979 recréée ici) de jouer d’interactions entre l’image et le médium, quand l’installation environnementale de La Monte Young joue, elle, de l’attention du spectateur, comme la Dream Machine de Brion Gysin. Le troisième temps, celui de « Ruptures », part – « zang-toumb ! » – de l’art des bruits des Futuristes pour s’égarer, en passant par Duchamp, vers une déprise de la question, malgré cette évidence que l’accessibilité technique aux matériaux sonores par la vidéo puis les technologies numériques pour la musique comme pour l’image autorisent aujourd’hui à réaliser des rêves conçus il y a à peine moins d’un siècle. Mais il est vrai après tout que l’ambition affichée de « Sons & lumières » s’arrête au XXe siècle : l’exposition reste à faire pour le XXIe !

SONS & LUMIÈRES, UNE HISTOIRE DU SON DANS L’ART DU XXe SIÈCLE

Jusqu’au 3 janvier 2005, Galerie 1, Centre Pompidou, place Georges-Pompidou, 75004 Paris. Cat., Éditions du Centre, 376 p., 320 ill. couleur et 200 n&b, 44,90 euros, ISBN 2-84426244-9 ; Album de l’exposition, 60 p., 80 ill., 8 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°204 du 3 décembre 2004, avec le titre suivant : Le silence est d’or

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