Art Basel

Fièvre à Miami Beach

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 17 décembre 2004 - 841 mots

Entre gadget et paillettes, les affaires ont été frénétiques lors de la 3e édition
d’Art Basel Miami Beach, qui s’est déroulée du 2 au 5 décembre.

 MIAMI - The Same Elsewhere (1). Cette œuvre de John Baldessari proposée pour 125 000 dollars (93 300 euros) à Art Basel Miami Beach donne le ton du salon : même fièvre acheteuse qu’à Bâle, même phalange d’artistes plébiscités par le marché, même afflux de grands collectionneurs. En revanche, les redites y sont moins fréquentes que sur d’autres événements. Certes le stand d’Annely Juda (Londres) cultive un air de déjà-vu, White Cube (Londres) n’en finit pas de traîner la tirelire de Damien Hirst, et Landau Fine Art (Montréal) a toujours dans son étal la Femme assise de Picasso, achetée pour 4,6 millions de dollars en mai 2004 et déjà proposée à Bâle en juin puis à la Biennale des antiquaires de Paris en septembre pour 7,5 millions de dollars. À trop se concentrer sur un noyau d’artistes, on en vient parfois à retrouver des œuvres similaires d’un stand à l’autre. Deux éditions de Monument for V. Tatlin de Dan Flavin jouaient les doublons chez les New-Yorkais Barbara Gladstone et Pace Wildenstein. Les deux galeries s’étaient d’ailleurs accordées sur le prix, 650 000 dollars.
Si la greffe d’Art Basel en Floride est une réussite incontestable, la qualité de la foire ne vaut pas celle de Bâle. Art Basel Miami Beach est un produit américain où le meilleur – une sublime sélection d’art minimal chez Peter Freeman (New York) – côtoie le pire. Dans une ville de carton-pâte, la dérive décorative est presque inévitable. Le verre est omniprésent avec les lustres de Jorge Pardo vendus entre 50 000 et 70 000 dollars sur le stand de neugerriemschneider (Berlin) ou Red Sun with Black Heart de Katy Schimert, cédé pour 45 000 dollars chez Zwirner (New York). L’artiste Jean-Michel Othoniel, dont les colliers (45 000 dollars) et autres lanternes kitsch (36 000 et 46 000 dollars) font fureur chez Emmanuel Perrotin (Paris, Miami), est pour ainsi dire dans son élément ! À Miami, certains achètent des œuvres de la même façon que des sacs Chanel, pour le chic ou le fun. Les mêmes se donnent à cœur joie dans le trop-plein de soirées VIP parfois décadentes. Doit-on s’éloigner autant de l’art pour inciter les gens à en acheter ? La méthode semble pour le moment fructueuse.

Baldessari et Richard Prince
D’autres collectionneurs prennent le chemin de la foire avec l’esprit calculateur des capital-riskers. Entre spéculation et frivolité, mais aussi pour quelques-uns avec une bonne dose de clairvoyance, les transactions ont été frénétiques dès les premières heures. La galerie Gmurzynska (Cologne) a cédé The Room (1967), un tableau du meilleur cru de David Hockney affiché pour 3 millions de dollars. Le collectionneur français Antoine de Galbert a acquis l’installation luxuriante Operation Pink du collectif Gelatin chez Meyer Kainer (Vienne) au grand dam des Rubell, grands collectionneurs de Miami. La galerie Kamel Mennour (Paris) a vendu pour 30 000 dollars au Brooklyn Museum (New York) l’atelier clandestin de Kader Attia, une des rares notes signifiantes dans un monde de frime. Dans ce contexte hype, les enseignes modernes en perdent parfois leur latin. Certaines gauchissent leur identité pour être « dans le coup », comme Di Meo (Paris) qui présentait un mur de dessins de Yoshitomo Nara ainsi qu’une suite de toiles d’Erró confiées par la galerie Louis Carré & Cie (Paris). De telles mues, tolérées à Miami, seraient mal venues à Bâle...
L’interaction entre les œuvres présentées sur la foire et celles à l’affiche des trois magnifiques collections privées locales (Rubell, de la Cruz et Margulies) est frappante. Les amateurs locaux font tellement la pluie et le beau temps que, de bonne source, Rosa de la Cruz aurait imposé la galerie Placemaker (Miami) au détriment de Kevin Bruk (Miami), présent en 2003. L’artiste John Baldessari a tenu le haut du pavé sur au moins huit stands, mais aussi dans l’entrepôt de Martin Z. Margulies. Dans un marché de panurges, il n’est pas surprenant que Richard Prince, chouchou des ventes de New York en novembre et auquel les Rubell consacraient une exposition parallèle, ait été l’un des best-sellers de la foire. De même, la cote du peintre allemand Neo Rauch, présent dans la collection des Rubell, se maintient depuis la foire londonienne Frieze, où une œuvre récente était présentée pour 180 000 euros par Eigen Art (Berlin). À Miami, Zwirner cédait Höhe, un tableau de 2004 pour 240 000 dollars. Les portefeuilles se grisent aussi pour le travail kitsch et psychédélique d’assume vivid astro focus, en bonne place dans la collection de la Cruz. À la différence des Européens, peu dépensiers malgré un dollar avantageux, les Américains font mine d’ignorer les signaux d’alarme d’une crise latente. Mais peut-être savent-ils que, tôt ou tard, quels que soient les retours de bâton, ils retomberont sur leurs pieds au gré des revivals. Même après un passage à vide, les artistes américains se rappellent toujours à notre bon souvenir.

(1) « La même chose ailleurs »

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°205 du 17 décembre 2004, avec le titre suivant : Fièvre à Miami Beach

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