Bruno Munari

Tout sur le « Zizi »

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 17 décembre 2004 - 619 mots

Milan, fin des années 1940. Pirelli, fabricant de pneumatiques et de produits en caoutchouc élastique, vient de mettre au point un matériau révolutionnaire : la mousse de caoutchouc synthétique ou « caoutchouc mousse ». La firme italienne cherche alors de nouveaux débouchés, lorgnant notamment vers le mobilier. En 1949, le designer Bruno Munari, à l’affût de cette matière neuve, dessine un jouet, un petit chat baptisé Meo Romeo, et propose, logiquement, le projet à… Pirelli. Le fabricant tarde évidemment à l’étudier. Il est vrai que le jouet ne représente qu’une goutte d’eau dans un océan de pneus. Munari prend alors la plume et écrit au patron : « Moi, Bruno Munari, pesant tout juste 48 kilos, je ne me vois pas perturber toute cette activité [le vaste complexe industriel qu’est Pirelli]. J’attends donc mon chat dehors, sur le trottoir au coin de la rue, en compagnie de deux enfants perdus qui avaient demandé s’ils pouvaient l’avoir pour Noël » [in Pirelli Corporate Magazine]. Bruno Munari vient de trouver une utilisation optimale pour ce nouveau caoutchouc mousse. En 1950, le chat Meo Romeo fera l’objet d’un brevet industriel.
Bruno Munari (1907-1998) s’est très tôt intéressé aux enfants, les seuls, selon lui, « à même de libérer ou de garder leur créativité ». Dès le début des années 1940, avec la naissance de son fils Alberto, il crée des jouets, invente des jeux avec lesquels l’enfant est invité à interagir, à raisonner, à expérimenter. Il conçoit aussi ses premiers livres pour enfants. Tandis qu’il dessine le chat Meo Romeo, il publie les Livres illisibles, ouvrages sans texte où la narration se construit à partir d’une succession de pages trouées ou de figures géométriques, de feuilles de papier découpées et colorées. Les enfants sont sollicités par des surprises permanentes : ces pages étranges à ouvrir et surtout ces trous au travers desquels regarder...

Se tortiller à l’envi
En 1953, Munari dessine Zizi, mignon petit singe en caoutchouc mousse, armé d’un fil de fer. Une trentaine de centimètres sous la toise (queue non comprise), entièrement marron et un grand sourire béat, ainsi se présente la bête, qui peut se tortiller à l’envi et dans tous les sens. Cette fois, c’est la firme italienne Pigomma qui l’éditera. Un an plus tard, en 1954, Zizi ne décroche rien moins qu’un Compasso d’Oro [« Compas d’or »], plus haute récompense du design italien. Il fait alors partie de la première fournée – une quinzaine d’objets – de ce prix tout neuf, créé par Gio Ponti, architecte, designer et directeur à l’époque de la fameuse revue Domus. La petite chose en caoutchouc mousse parade en compagnie de pièces du design transalpin, comme la machine à écrire portable Lettera 22 de Marcello Nizzoli (Olivetti) ou la lampe de table Modèle 559 de Gino Sarfatti (Arteluce), devenues depuis mythiques.
Pourquoi une telle distinction ? « D’habitude, estime le jury, les jouets sont des modèles réduits, d’animaux ou de figures humaines, ironiquement infantilisants. Ce petit quadrupède de Munari représente, en revanche, une interprétation du caractère d’un personnage qui a atteint une forme essentielle dans l’emploi typique d’un matériau, le caoutchouc mousse articulé par une armature en fil d’acier, et qui consent un divertissement basé sur une infinité de postures. Ce jouet appartient à une catégorie élevée qui fait l’objet d’un intérêt intellectuel. »
À l’heure où nombre d’enfants ne jurent que par les jeux vidéos et autres simulations via Internet, il est bon, parfois, de revenir à des fondamentaux. Le singe Zizi a 50 ans pile-poil, et pour ainsi dire, pas une ride.

Le singe Zizi est réédité, depuis 2001, par le Centro Legno Arredo de Cantù (CLAC), près de Côme (Italie). Prix : 26 euros. Rens. : www.clacsrl.it ou www.design-italia.it

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°205 du 17 décembre 2004, avec le titre suivant : Tout sur le « Zizi »

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