Art décoratif

L’Art nouveau selon Siegfried Bing

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 7 janvier 2005 - 864 mots

Le galeriste parisien est au centre d’une importante exposition au Musée Van Gogh à Amsterdam. Celle-ci retrace son influence majeure sur une génération d’artistes et de créateurs.

 AMSTERDAM - Lorsque Siegfried Bing (1838-1905) a créé la galerie L’Art Nouveau rue de Provence à Paris en 1895, son vœu le plus cher était de proposer un style novateur en imaginant un cadre de vie dont la légèreté et l’unité se démarqueraient de la mode parisienne d’alors. En collaboration avec le Musée des arts décoratifs de Paris, le Musée Van Gogh d’Amsterdam restitue la vision du marchand d’origine allemande dans une exposition célébrant la diversité et, surtout, la complémentarité des artistes dont il a su s’entourer. À partir des deux catalogues d’exposition des « Salons de l’Art nouveau » de 1895 et 1896, mais aussi celui de la dispersion de la galerie après la mort de Siegfried Bing en 1905, l’équipe de commissaires a œuvré pour réunir des pièces ayant figuré en bonne place dans cet espace d’avant-garde, haut lieu du Gesamtkunstwerke (ou art total).

Promotion de l’art nippon
En 1890, Siegfried Bing recevait la Légion d’honneur qui le récompensait de ses efforts pour la promotion de la création artistique nippone. Deux ans plus tôt, il avait fondé une revue de luxe mensuelle, Le Japon artistique, grâce à laquelle de nombreux artistes avaient découvert l’art subtil de l’estampe japonaise, ses aplats de couleur et son traitement si original de la perspective (1). Avec pour toile de fond de gigantesques agrandissements de photographies d’époque de vues extérieures et intérieures du bâtiment de L’Art nouveau, la première des deux grandes salles d’exposition s’attarde donc sur les objets japonais tels qu’ils étaient proposés à la vente : tissus richement brodés (fukusas), vases en bronze, porcelaines, peignes en bois laqué incrusté de nacre, garde-épées (tsubas) ou imposante oie en bronze faisant office de brûle-encens… Lorsqu’en 1894 la mode du japonisme s’essouffle, Bing, heureusement inspiré, décide d’encourager la création contemporaine menacée par une industrialisation envahissante. Sa vision très large allait privilégier les arts décoratifs et redorer le blason de l’artisanat d’art. Il sillonne l’Europe à la recherche d’artistes peintres, de créateurs de mobilier et d’objets d’art, allant jusqu’à recruter le verrier virtuose Louis Comfort Tiffany à New York. On retrouve ainsi une série de tableaux, de panneaux décoratifs et de vitraux d’après les dessins, entre autres, de Toulouse-Lautrec et Ker-Xavier Roussel, certains ayant été spécialement commandés pour les murs de la galerie.
À la fois séduisant et anecdotique, le dessin de Leonetto Cappiello, issu de la collection personnelle du commissaire-priseur parisien Rémy Le Fur et intitulé Siegfried Bing dans une vente aux enchères (vers 1903-1904), représente le marchand dans le feu de l’action. Cette curiosité lui valut cependant des critiques, ses détracteurs l’accusant de ne pas suffisamment soutenir l’art français. Parmi ces artistes figurent pourtant en bonne place Édouard Vuillard (dont la Femme à la robe rayée (1895) constitue l’un des cinq panneaux de L’Album, destinés à décorer la galerie), Paul Sérusier et son Pèlerinage à Notre-Dame-des-Portes (1894-1895), mais aussi Henri Edmond Cross et Paul Albert Besnard, dont les larges panneaux sont directement inspirés de la philosophie esthétique japonaise où la nature domine la figure humaine.

Esprit d’entrepreneur
La seconde salle revient quant à elle sur l’Exposition universelle de 1900, pour laquelle Siegfried Bing s’est vu offrir la conception d’un pavillon de 260 m2 répartis en six pièces. Il fait alors appel à trois créateurs de mobilier dont les styles aériens et fluides dialoguent de manière subtile : Georges de Feure, Edward Colonna et Eugène Gaillard. D’une élégance rare, ces meubles sont réunis pour la première fois depuis plus d’un siècle au musée d’Amsterdam, sur fond de films d’époque. L’espace restant est consacré aux divers ateliers de création avec lesquels Bing a collaboré comme le mouvement londonien Arts & Crafts mené par William Morris, créateur des tissus Liberty, la verrerie Daum, la Rookwood Pottery inspirée de céramique japonaise, la Grueby Pottery (Boston), les porcelaines de Limoges, les bronzes de Constantin Meunier...
Un telle vision démontre une passion pour le « Beau » – tel qu’on l’entendait au XIXe siècle – alliée à un véritable esprit d’entrepreneur. Quelques années plus tard, Frank Lloyd Wright aura la même inspiration lorsqu’il imaginera le « Prairie Style » : l’architecture intérieure reflète celle de la façade extérieure et les objets de décoration font écho au mobilier, le tout en parfaite harmonie. Mais l’architecte américain n’aura pas le flair suffisant pour s’entourer d’autant de talents.

(1) À ce propos, le musée réserve une salle à de multiples estampes mais surtout aux copies exécutées par Van Gogh de deux œuvres d’Hokusai : Le Pont sous la pluie (1887) et le somptueux Prunier en fleur (1887).

L’ART NOUVEAU. LA MAISON BING

Jusqu’au 27 février, Musée Van Gogh, Paulus Potterstraat 7, Amsterdam, tél. 31 20 570 5200, www.vangoghmuseum.nl, tlj 10h-18h, 10h-22h le vendredi. Catalogue, coéd. Musée Van Gogh, Musée des arts décoratifs (Paris), Mercatorfonds, en français, 296 p., 250 ill. couleur, 50 ill. n&b, 49,50 euros (relié), ISBN 90-6153-561-9. L’exposition ira à Munich au Musée Villa Stuck (17 mars-31 juillet), à Barcelone au Caixa Forum (6 septembre 2005-29 janvier 2006) et à Paris au Musée des arts décoratifs (mars à juillet 2006).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°206 du 7 janvier 2005, avec le titre suivant : L’Art nouveau selon Siegfried Bing

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