Mexique,Teotihuacán

Le supermarché et la pyramide

Le Journal des Arts

Le 7 janvier 2005 - 352 mots

San Juan Teotihuacan - La petite ville de San Juan Teotihuacán, au Mexique, possède désormais un nouveau supermarché Bodega Aurrerá, filiale mexicaine de la multinationale Wal-Mart. Mais celui-ci est situé à 1 500 m à peine des palais des anciens rois de Teotihuacan, la plus grande et la plus imposante cité de l’Amérique précolombienne, qui connut son heure de gloire au VIIe siècle de notre ère. Du haut de la pyramide du Soleil, les touristes pourront contempler le toit sombre de cette nouvelle construction et méditer tout à la fois sur les beautés de cette cité et les bienfaits de la mondialisation. Il est difficile d’identifier les responsables de ce compromis entre une architecture trash postmoderne et le talud-tablero [élément architectural commun à de nombreuses constructions méso-américaines composé d’un plan incliné et d’un plan vertical]. D’autant que tout se serait déroulé dans le plus scrupuleux respect de la loi, avec les autorisations de l’Instituto Nacional de Antropologia
y Historia (Inah), l’organisme mexicain de tutelle des sites archéologiques, et la bénédiction de la délégation mexicaine de l’International Council on Monuments and Sites (Icomos), partenaire de l’Unesco pour la surveillance des monuments et des sites archéologiques mondiaux.
Wal-Mart, qui a qualifié les vestiges archéologiques de « rares et en très mauvais état », signale avec fierté que son supermarché se trouve à 2 400 m de la pyramide du Soleil – en omettant toutefois de préciser qu’il n’est qu’à 1 000 m des limites du centre cérémoniel, et qu’il se dresse entièrement sur les complexes résidentiels de l’antique cité. Quels vides juridiques ont-ils permis un tel gâchis ? Pourtant, sur la zone de Teotihuacán, il est clair que la place ne manquait pas. À quelques kilomètres de la ville, il existe en effet de vastes étendues arides et abandonnées, avantageusement desservies par diverses autoroutes. Dans ce cas, pourquoi avoir choisi Teotihuacán même ? Peut-être le Mexique des multinationales a-t-il lui aussi besoin de symboles. Une manière aussi de signifier que le passé pré-hispanique n’est plus le fondement de l’identité nationale, et que l’assimilation culturelle au grand voisin du Nord ne doit plus connaître d’obstacles.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°206 du 7 janvier 2005, avec le titre suivant : Le supermarché et la pyramide

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