Panorama

Architecture de papier

Par Gilles de Bure · Le Journal des Arts

Le 21 janvier 2005 - 804 mots

D’Alberti à Tel Aviv, une sélection parmi les livraisons récentes dans le domaine de l’architecture.

Parmi les beaux livres, ceux consacrés à l’architecture occupent une place limitée mais essentielle dans les comptoirs des librairies, avec en pointe les monographies. Citons ainsi celle que Richard Scoffier dédie à Frédéric Borel. Ancien de chez Christian de Portzamparc, dont on sent bien l’influence qu’il a eue sur lui, Borel est un créateur atypique, tout autant sculpteur qu’architecte. Les Parisiens sont dorénavant accoutumés à ses immeubles de logements et ses écoles, étonnantes sculptures urbaines pour la plupart posées dans le nord-est de la capitale, au fil des 19e et 20e arrondissements : boulevard de Belleville, rue Oberkampf, rue de la Moskowa, rue des Pavillons ou rue Ramponeau,  à propos desquelles Scoffier écrit : « Tous ces projets cherchent à s’affranchir des lois de la gravité pour composer un parcours virtuel en trois dimensions, dans lequel disparaissent les notions de haut et de bas, de droite et de gauche, au profit d’un mouvement brownien se déployant indifféremment dans l’espace. Les déplacements linéaires horizontaux s’effacent au profit de relations multidirectionnelles, où les mouvements ne sont plus physiques mais optiques. Les volumes libérés du plan du sol saturent l’espace et lui confèrent une densité, une matérialité. Ils rendent ainsi presque palpable ce fond invisible qui nous entoure, nous accompagne, en accordant au vide une substance… »
Et voici qu’au détour de la recherche, surgit le mythe absolu, l’icône parfaite, L’Art d’édifier de Leon Battista Alberti. Amorcé dès le début des années 1440, présenté au pape Nicolas V en 1452, publié en 1485, treize ans après la mort d’Alberti, écrit en latin alors langue vivante, ce livre fut traduit en français par Jean Martin en 1553. Cette lecture ardue enchanta pourtant des générations de savants, d’historiens, d’architectes et de curieux. Le voici retraduit par Pierre Caye et Françoise Choay dans une version dont l’introduction, la postface, l’appareil critique, les notes et les annexes éclairent l’ouvrage et donnent toute la mesure de la qualité et de l’élégance de la pensée et de l’écriture d’Alberti, l’étendue et l’universalité de ses connaissances, la profondeur et la densité de sa culture et de sa vision. « Plus de cinq siècles après ce témoignage, l’œuvre de ce génie universel continue de stupéfier », affirme le prière d’insérer. Force est d’adhérer.

Complétude et voyage
Avec sa troisième édition de L’Architecture moderne depuis 1900, William J. R. Curtis continue son exploration en profondeur de ce qui constitue la temporalité et la spatialité de l’architecture du XXe siècle. Pratique, esthétique, sociale, formelle, symbolique, toutes ses dimensions sont abordées dans un découpage parfait, témoignage exemplaire de cette science si typiquement anglo-saxonne du « savoir traiter l’histoire ». Une exploration renforcée par 850 illustrations idéalement choisies.
Comme une suite logique du précédent, L’Architecture contemporaine de Sophie Flouquet s’attache à l’histoire immédiate. Douze exemples, parfaitement symptomatiques, illustrent cette traversée des vingt-cinq dernières années, où se croisent Christian de Portzamparc et Renzo Piano, Peter Zumthor et Rudy Ricciotti, Jean Nouvel et Shigeru Ban... Le tout avec légèreté, simplicité et clarté. Soit comment rendre l’architecture contemporaine évidente.
Saisissant la mise en œuvre par ses deux vieux complices Patrick Bouchain et Loïc Julienne du chapiteau multicolore du « Dragon volant », l’École nationale des arts du cirque à Rosny-sous-Bois, Christian Dupavillon nous entraîne lui dans un voyage à travers le temps, l’espace, l’histoire et les continents avec La Tente et le chapiteau. Assyrie, Chine, Tartarie, Tibet, Inde, tentes bédouines, yourtes mongoles, tipis arapahos, campements ottomans, palais de toile kirghize, bivouacs napoléoniens, fêtes de la circoncision, camp du Drap d’or et, naturellement, cirques en nombre, rien ne manque à la parade.
Enfin, qui savait que Tel Aviv était une ville furieusement « bauhausienne » ? Nina Metzger-Szmuk nous livre avec ses Maisons sur le sable une promenade et une analyse fulgurantes de la prégnance du mouvement moderne et de l’esprit Bauhaus qui font de Tel-Aviv un musée à ciel ouvert de l’architecture des années 1920 et 1930. Venus de Galice, Lituanie, Pologne, Russie, Ukraine, Berlin, Budapest, Francfort, Jaffa, Odessa, Varsovie, Vienne ou Zurich, tous ces architectes israéliens, dont beaucoup passèrent par le Bauhaus, ont su, quelle que soit leur diversité d’origine, de culture, de formation, élaborer une unité d’écriture en tous points confondante. La découverte et la surprise de l’année 2004.

- Richard Scoffier, Frédéric Borel, Norma Éd., 224 p., 58 euros, ISBN 2-909283-55-0 - Léon BatTista Alberti, L’art d’édifier, Seuil, 608 p., 29 euros, ISBN 2-02-012164-6 - William J. R. Curtis, L’architecture moderne depuis 1900, Phaidon, 736 p, 59,95 euros, ISBN 0-7148-9418-4 - Sophie Flouquet, L’architecture contemporaine, éd. Scala, 127 p., 15 euros, ISBN 2-86656-316-6 - Christian Dupavillon, La tente et le chapiteau, Norma Éd., 120 p., 35 euros, ISBN 2-909283-80-1 - Nitza Metzger-Szmuk, Des maisons sur le sable, Éditions de l’Éclat, 447 p., 65 euros, ISBN 2-84162-077-8

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°207 du 21 janvier 2005, avec le titre suivant : Architecture de papier

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