Paroles d’artiste

Jota Castro

« Pour un artiste, notre époque est du pain bénit »

Par Anaïd Demir · Le Journal des Arts

Le 21 janvier 2005 - 733 mots

Né en 1965 à Yurimaguas, au Pérou, de nationalité franco-péruvienne, et résidant à Bruxelles, Jota Castro est un artiste « pluriculturel ». Un globe-trotter pour qui art et engagement sociopolitique font front commun. À l’occasion de son exposition personnelle au Palais de Tokyo, à Paris, l’artiste répond à nos questions.

 Que présentez-vous au Palais de Tokyo, puis au BPS 22, à Charleroi (Belgique) pour votre « Exposition universelle »?
Au Palais de Tokyo, je présente une série de nouvelles pièces réalisées spécialement pour l’occasion. Je n’ai pas très envie de les décrire, mais la thématique tourne autour de la discrimination, de l’émulation, des clichés nationalistes, de la « transculturalisation »… Que de l’universel ! Idem à Charleroi.

S’agit-il pour vous d’une allusion aux Expositions universelles du XIXe siècle ?
Oui, cela me permet de jouer avec l’origine même du bâtiment : je rappelle que le Palais de Tokyo a été construit pour l’Exposition universelle de 1937 qui faisait l’apologie de la France coloniale. Les deux lieux d’exposition se trouvent dans des bâtiments qui avaient pour fonction de montrer la puissance coloniale de la France et de la Belgique. Je pourrais ajouter que maintenant c’est moi qui représente une certaine forme d’universalité : je ne suis pas blanc, je fais l’objet de discrimination, je suis jugé très souvent sur mon apparence…

Les filatures de Sarkozy, un « Love Hotel », une campagne anti-Bush… En quoi le terrain de l’art vous semble-t-il idéal pour faire passer l’information ?
Nous vivons au siècle de l’information. C’est la matière première de mon travail. Notre société a un accès à l’information et au savoir sans commune mesure avec le passé. Je ne vois pas pourquoi je me priverais de ce que notre époque apporte, et j’ai donc décidé d’utiliser l’actualité dans mon travail.

Avant de vous consacrer à l’art, vous avez reçu une formation politique et entamé une carrière diplomatique. Qu’est-ce qui vous a fait dévier de votre trajectoire ?
Je considère que ma formation en droit et en sciences politiques ainsi que mes expériences professionnelles sont ma formation artistique. La meilleure façon d’interpréter son époque, c’est d’acquérir les connaissances et les notions qui permettent de se confronter à la réalité. Lorsque mon père est décédé, j’étais à Paris ; lui, il mourait à Lima, au Pérou. Ce jour-là, quelques heures avant sa mort, j’étais malade, cloué au lit par une crise de paludisme. J’avais beaucoup de fièvre et j’ai entendu mon père me dire que je devais faire du droit. C’est ce que j’ai fait. Mais quelques années plus tard, je me suis aperçu qu’il se trompait et je lui ai prouvé qu’il avait tort. Je n’ai pas dévié de ma trajectoire, j’ai seulement fait ce que je devais faire.

Pourquoi l’art est-il un terrain favorable à l’engagement politico-social ?
Parce qu’il n’y a rien de plus passionnant en ce moment. La société change et le pouvoir prend peur. Les gens cherchent de nouvelles références. Ils sont à la recherche d’informations, ils en discutent, ils les partagent. Notre société est une terre à redéfinir, à modeler sans ambiguïté. Pour un artiste, notre époque est du pain bénit ! Personne pour vous empêcher de travailler, d’interpréter. Tout consiste à chercher comment communiquer, comment simplifier le discours et comment arriver jusqu’au tissu social. C’est excitant.

Comment votre vie personnelle et les mécanismes sociaux se superposent-ils dans vos expositions ?
Je crois que pour répondre à cette question, je dois donner un exemple. Lors de ma dernière exposition au TNB [Théâtre national de Bretagne] à Rennes, j’ai travaillé sur mon ami Amiel Grumberg, sur ce que sa disparition provoquait en moi. Amiel s’est suicidé le 9 septembre 2004, le jour de mon anniversaire et le jour où je recevais le grand prix de la Biennale de Gwangju en Corée. Il avait 24 ans, sa mort m’a bouleversé. J’ai exprimé ce que je ressentais dans une installation : un énorme ponton en bois au-dessus d’une mer de verre, parfois brisée parfois intacte. Dans ce cas-ci, ma vie était à la base de mon travail, et j’ai vécu mon deuil à travers la création de cette pièce.

Exposition universelle 1

Palais de Tokyo, 13, avenue du Président-Wilson, 75116 Paris, tél. 01 47 23 54 01. Du 3 février au 3 avril. Et au BPS 22, Espace de création contemporaine, bd Solvay 22, Charleroi (Belgique), tél. 32 64 22 51 70. Du 1er mars au 30 avril

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°207 du 21 janvier 2005, avec le titre suivant : Jota Castro

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