Chine

Canton, photo in vivo

Par Anaïd Demir · Le Journal des Arts

Le 4 février 2005 - 843 mots

Une première Biennale internationale de photographie est organisée dans la mégalopole par des commissaires chinois et français.

 CANTON (CHINE) - Au-delà des mers, la ville de Canton (Guang-zhou) doit sa renommée à la façon très spéciale dont on y prépare le riz. Les habitants de cette capitale gastronomique de la Chine du Sud sont en effet réputés pour savoir accommoder avec finesse tout ce qui court, rampe, saute, nage ou vole... à condition que tout cela soit de première fraîcheur, bien sûr ! Parti de ce principe, il n’est pas étonnant que les Cantonnais soient friands d’art vivant et se mettent en quatre pour nous en régaler.
C’est là, à l’embouchure de la rivière des Perles, qu’a eu lieu en 2002 une première Triennale d’art contemporain… Et c’est aussi là que s’inaugure cette année la première Biennale de la photographie. Deux événements d’envergure internationale, dont l’initiative revient principalement au Guangdong Museum of Art et à l’ouverture d’esprit de son directeur, Wang Huangsheng.
Ce lieu a déjà manifesté son intérêt pour la photographie avec, notamment, l’exposition « Humanism in China » en 2003. Cette première Biennale de la photographie réaffirme donc cette ouverture et bénéficie d’un éclairage grand angle en s’inscrivant de surcroît dans le cadre de l’année de la France en Chine… qui a naturellement succédé à l’année de la Chine en France. D’ailleurs, le commissariat général des expositions est partagé entre le Français Alain Jullien et le Chinois Gu Zheng. Le premier n’en est pas à son coup d’essai en Chine puisqu’il a initié dans l’étonnante ville médiévale de Pingyao, dans le Shanxi, un Festival de photographie très couru par les spécialistes (lire le JdA n° 178, 10 octobre 2003). Quant à Gu Zheng, professeur d’université de Shanghai et critique, il est le personnage incontournable en matière de photographie en Chine. La Biennale a aussi reçu le précieux soutien d’An Ge, que l’on désigne comme le chef de file de l’école photographique de Canton.
Au total, une soixantaine d’expositions sont réparties en trois lieux dans la ville. Méridionale et brumeuse, pas aussi pétulante et charmeuse que Shanghai avec qui elle est en constante compétition économique, mais néanmoins moderne avec ses mille et une tours audacieuses, Canton a choisi « La ville photographique » pour thème général de sa première biennale photo. Un thème dans lequel toutes les vertigineuses mégalopoles d’Asie se reconnaissent. Au Musée d’art du Guangdong, au Musée de l’Académie des beaux-arts ou au Musée Times, l’architecture domine et la photographie chinoise exprime à travers elle sa vivacité, comme dans les buildings grand format de Miao Xiaochun. Ces panoramas semblent aspirer le spectateur, l’inclure dans cette ville où les reflets et les ruptures d’échelle se confrontent harmonieusement. Les sages écolières de Weng Fen présentées de dos et face à de grands paysages urbains ou bien la mer nous plongent elles aussi dans ces immensités.
Aniu offre des vues imprenables sur les nombreux ponts censés dégorger la circulation des villes chinoises. Un ensemble géométrique fort séduisant apparaît alors. Le jeune Yao Songxin nous offre une version noir et blanc, plus classique et veloutée, de Shanghai la nuit. Wang Qinqsong propose une vision chinoise de Coca-Cola, Häagen-Dazs, FedEx et autres Bibendum Michelin... dans des clichés qui remettent en question le modèle occidental. Shi Guorui égratigne quant à lui les lieux qui font le succès de Shanghai, du Bund au quartier de Pudong, alors que Mo Yi et ses clichés rougeoyants nous confrontent à la claustrophobie que procure la ville en général. La version occidentale de Shanghai est plus romantique avec Edith Roux et ses images vitaminées du métro. Plus trash, entre photo-témoignage et photo plasticienne, Ja Yuchan, qui nous avait déjà présenté à Pingyao les photos d’une héroïnomane qu’il avait suivie, nous fait cette fois entrer dans le monde du travestissement.
Du côté occidental, la ville tend vers le banal. Entre majorettes et body-builders, le Slovaque Martin Kollar évoque des « Jours ordinaires » en banlieue ou ailleurs. Avec le Polonais Bogdan Konopka, une suite de photographies s’apparente presque à de la vidéo : on assiste là, pas à pas, à la construction de l’Opéra de Pékin. Jean-Pierre Favreau a lui capté, dans la folie urbaine du Japon, les regards lunaires et les présences fantomatiques qui se cachent derrière la productivité, le mouvement et les costumes trois-pièces des businessmen. La biennale propose aussi des photographes plus historiques, avec notamment le regard que Marc Riboud a posé sur la ville britannique de Leeds à cinquante ans d’intervalle. Le Centre Pompidou fait enfin découvrir au public chinois le « Paris des photographes », à travers des artistes tels que Doisneau, Germaine Krull, Brassaï, Cartier-Bresson, Man Ray, Raoul Haussmann… La tour Eiffel, la Seine, le métro, les réverbères ou les quais, un vieux Paris qui a fait la réputation de la capitale française renaît ici avec plaisir. Décidément, entre la France et la Chine, les amitiés  ne semblent pas prêtes de s’émousser.

Biennale internationale de la photographie

Jusqu’au 27 février 2005, Musée d’art du Guangdong, 38 Yanyu Lu, Er Sha Dao, Canton, Chine. Tél. 86 20 87351393, www.gdmoa.org

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°208 du 4 février 2005, avec le titre suivant : Canton, photo in vivo

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