Jean-Louis Prat

Ex-Directeur de la Fondation Maeght

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 18 février 2005 - 1305 mots

Pendant trente-cinq ans, Jean-Louis Prat a orchestré avec maestria les expositions de la Fondation Maeght. Avec sa démission, un pan de l’histoire du lieu se referme.

Jean-Louis Prat jouit d’une assurance sans aplomb. L’assurance de ceux qui n’ont pas à se hausser du col car leurs expositions parlent d’elles-mêmes. Avec une chaleur de communicant, il a dirigé pendant trente-cinq ans la Fondation Maeght à Saint-Paul de Vence (Alpes-Maritimes). Dans la continuité de son fondateur, Aimé Maeght, il en a fait un passage obligé du grand public et des professionnels.
Auvergnat viscéralement attaché à sa famille, Jean-Louis Prat est un homme du terroir et du terrain. Escamotant au bout de trois ans ses études de pharmacie, Jean-Louis Prat bifurque vers l’art. La fréquentation des ventes publiques à Clermont-Ferrand le décide à devenir commissaire-priseur. En 1965, il s’installe à Paris, s’inscrit à l’Ecole du Louvre et trouve un stage chez l’officier ministériel Maurice Rheims. Il y restera quatre ans avant de rejoindre en 1969 la galerie Maeght puis la fondation éponyme. « Je n’ai pas fait de transfert de famille, mais Aimé Maeght a senti que je pouvais convenir au lieu, rappelle-t-il.  Maeght avait eu des rencontres fantastiques avec les artistes. Il avait compris qu’il fallait consigner cela dans un lieu où ils allaient trouver un point d’appui définitif. La confrontation avec les écrivains et les poètes m’a aussi séduit. »

Expositions très visuelles
Jean-Louis Prat a réussi à imposer la Fondation Maeght dans le circuit culturel estival sans quémander l’obole publique. Son secret ? Des expositions très visuelles, à la fois grand public et ambitieuses. « Il a une capacité à créer une histoire, une fable inattendue qui, une fois mise en scène, devient plausible et évidente », souligne Thomas Llorens, directeur du Musée Thyssen-Bornemisza, à Madrid. Plus documentées que documentaires, ses expositions ne sont pas celles d’un archiviste. Certaines orchestrées ces quinze dernières années comme « L’œuvre ultime de Cézanne à Dubuffet » (1989), « Bacon-Freud. Expressions » (1995) ou « La Russie et les avant-gardes » (2003) brillaient d’une grande exigence intellectuelle. Avec « La sculpture des peintres » (1997) ou Germaine Richier (1996), Prat a aussi sorti la sculpture de son purgatoire. Yoyo Maeght, directrice de la galerie Maeght, observe toutefois que « les expositions sont devenues plus institutionnelles, plus historiques. Elles se sont écartées du vœu des fondateurs, qui était de faire quatre expositions dédiées à des artistes peu présents dans les institutions. » Le contemporain classique, et encore moins le contemporain tout court, n’ont pu se frayer qu’un timide chemin dans sa programmation.
Prat a su se mettre en retrait, au service de l’œuvre. « Il montre des œuvres sans esbroufe “installationniste”. Chaque exposition est savante, mais discrète », note l’artiste Pierre Alechinsky. Il colle au plus près de l’acte de création pour en détecter l’écume poétique. « Il connaît la matière qu’il expose. Ce n’est pas un musée imaginaire, relève l’historien Pierre Daix. Dans sa conception de l’art, ce sont les artistes qui sont importants, pas les tiroirs dans lesquels on les case. » Un jugement que conforte l’artiste Sam Szafran : « Jean-Louis n’est pas de ceux qui expliquent aux artistes comment ils ont fait leurs peintures. Il n’y a pas plus égocentrique qu’un artiste, et avec Jean-Louis, on se sent en confiance, aimé. » On relève chez lui une communauté d’esprit avec des créateurs humanistes. « Il aime Chagall, qui a proposé une vision positive du monde, disant que le bonheur est possible. L’œuvre de Giacometti qu’il admire est, elle, pleine de compassion », ajoute Jean-Michel Foray, directeur du Musée national Message biblique Marc-Chagall à Nice.
À l’affection des artistes se greffe la confiance des héritiers. Il s’est ainsi occupé des successions Chagall et Jacqueline Picasso. Grâce au tissu relationnel tricoté au fil des années, il a aussi décroché des prêts à faire pâlir d’envie les grands musées français. « On lui fait confiance parce qu’il vient avec une approche sensible, affective et non doctrinaire », souligne Thomas Llorens. Jean-Louis Prat estime d’ailleurs que, pour obtenir des pièces, « il ne faut pas aller voir des collectionneurs qui sont de vrais marchands ou des conservateurs qui sont de faux activistes ».
Il y a en lui un mélange de distance, d’intimité préservée, de cordialité et d’attention. « Jean-Louis est assez secret. Il a des cercles d’amitiés concentriques, dans des sphères inattendues qui ne se chevauchent pas », remarque son ami, le galeriste parisien Daniel Lelong. Ses fratries un brin potaches, où se retrouvent Léonard Gianadda ou Louis Deledicq – respectivement directeurs des fondations Pierre-Gianadda et Dubuffet –, font penser aux Copains de Jules Romain.
Après des années de mésentente cordiale avec certains membres de la famille Maeght, Jean-Louis Prat a démissionné en octobre 2004. À la fondation qu’il quittera fin février, il laisse des comptes équilibrés et les échos de son charisme. « Je me suis rendu compte que mon autonomie risquait de se restreindre, que les expositions allaient être contestées dans le temps. On ne peut se battre tout le temps. Autant décider soi-même de son départ », glisse-t-il. Yoyo Maeght rétorque que « Jean-Louis est un auteur extraordinaire », mais que « la gestion ne l’intéresse pas ». Et d’ajouter : « Je peux avoir des discussions passionnantes avec lui. Mais quand j’aborde des sujets difficiles, comme le fait que l’administration fiscale lui avait demandé de se retirer de son rôle d’administrateur, j’ai le mauvais rôle. »

Des prêts exceptionnels
L’heure est venue pour Jean-Louis Prat d’écrire la suite de son histoire. Un livre de portraits est déjà à l’ordre du jour. Nourris de la collection Maeght, ses goûts esthétiques ne peuvent le conduire vers les fondations Pinault ou Arnault, lesquelles l’auraient, semble-t-il, sollicité. Regretterait-il que le Centre Pompidou ne lui ait pas fait de pont d’or ? « J’ai eu la chance de ne pas avoir eu de propositions de Beaubourg à la mort d’Aimé Maeght. Je ne sais pas ce que j’aurais pu y faire », réplique celui qui siège depuis trois ans au conseil d’administration du Centre. On le sent mieux dans les guêtres de commissaire d’exposition. Prat a déjà dans ses cartons pour 2008 un événement « Chagall » au Musée Thyssen-Bornemisza. Il concocte aussi avec l’écrivain Jorge Semprun une « rencontre au sommet » Picasso-Goya. Pourra-t-il toujours décrocher des prêts formidables une fois parti de la Fondation Maeght ? « La confiance qui lui a été donnée, il l’emmènera partout avec lui », assure Jorge Semprun. En revanche, après avoir monté des expositions en moins de neuf mois, voire en quatre mois pour « Bacon-Freud », il lui sera peut-être difficile de se couler dans le rythme dilaté des institutions.
Reste aussi à voir quel sera l’avenir de la fondation que Jean-Louis Prat a incarnée après la mort d’Aimé Maeght. « La fondation n’a jamais été personnifiée, s’insurge Yoyo Maeght. Jean-Louis n’a pas voulu mettre le pied à l’étrier à un jeune qui aurait pu prendre une place, dans une continuité. Il ne reste qu’un lien de mémoire, et les gens ont la mémoire courte. Je lui en veux aussi de ne pas avoir programmé d’exposition d’été. Si la fondation était vraiment son bébé, on ne le laisse pas dans l’inconnu... » L’exposition estivale préparée par la famille tournera autour des fondements du lieu. La relève, « un conservateur d’une quarantaine d’années et n’ayant pas déjà imprimé son identité à un lieu », devait quant à elle être désignée à la mi-février.

Jean-Louis Prat en dates

1940 Naissance à Issoire (Puy-de-Dôme). 1970 Vice-président et directeur de la Fondation Maeght, à Saint-Paul de Vence. 1986 En charge de l’inventaire de la succession Marc Chagall et du projet de dation à l’État français. 1988 En charge de l’inventaire de la succession Picasso et du projet de dation à l’État français. 2004 Démission de la Fondation Maeght.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°209 du 18 février 2005, avec le titre suivant : Jean-Louis Prat

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