Maisons de ventes

Tajan, Bergé, Artcurial et les autres

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 18 février 2005 - 941 mots

Engorgé par un trop grand nombre d’intervenants, l’échiquier parisien pourrait connaître cette année des changements et autres surprises.

 PARIS - Il n’y a pas de place pour tout le monde à Paris. Pour être abrupt, le constat n’en est pas moins vrai. On peut noter que, depuis l’entrée en lice des maisons anglo-saxonnes en France, les intervenants hexagonaux perdent lentement mais sûrement du terrain. Piasa et Beaussant-Lefèvre ont accusé en 2003 des baisses respectives de 16 et 20 % de leurs chiffres d’affaires, puis de 4,6 et 10,7 % en 2004. Hormis Bergé & associés, les trois autres maisons achetées par des investisseurs avancent pourtant des comptes équilibrés – ainsi de Tajan et d’Artcurial Briest-Poulain-Le Fur –, voire des bénéfices dans le cas de Piasa. En marge de ces quatre structures de taille moyenne, la capitale est engorgée par une nébuleuse de petites maisons. Par une sorte de darwinisme, certaines seront amenées à disparaître faute de répondre aux exigences sophistiquées des vendeurs. Les plus grosses maisons françaises ont d’ailleurs plus intérêt à piocher dans la denrée de ces petites SVV (sociétés de ventes volontaires) qu’à se colleter avec les auctioneers qui, d’ici quelques années, pourraient quadriller 60 % du marché français. Dans un tel contexte, les spéculations quant au futur échiquier des maisons parisiennes vont bon train.
Chez Tajan, le torchon brûle entre François Tajan et la propriétaire de la maison, Rodica Seward. « Dans la manière, les choses pourraient être plus huilées, observe François Tajan. Rodica peut parfois prendre des décisions qui sont plus de mon ressort, comme l’organisation et la direction des ventes. » Coincés dans une cohabitation faite de tiraillements, les deux ont-ils au moins la même stratégie ? « Oui, répond François Tajan. De toute façon, ce métier ne se réécrit pas tous les jours. » C’est pourtant ce que pense Rodica Seward en développant les ventes thématiques, initiées modestement en 2004 avec « Paris-Europe centrale-Paris », et poursuivies cette année avec « New York-Paris 1945-2005 » (19 mai) et « Garouste et Bonetti » (18 mai). Elle avait aussi réfléchi à un rapprochement entre Tajan et les mousquetaires d’Artcurial, avorté l’été dernier. De son côté, François Tajan avait été sollicité il y a un an par Pierre Bergé pour monter un département XXe siècle chez Bergé & associés. Un projet qui, d’après les intéressés, n’a pas été remis sur le tapis. « Si François Tajan n’est pas content de sa situation, il peut toujours venir nous trouver », glisse Pierre Bergé. Il n’est toutefois pas sûr que François Tajan trouve son compte en quittant une maison qui, malgré tout, porte son nom. Inversement, la marque Tajan n’est pas suffisamment assise pour pouvoir se passer des membres de la famille. « Je compte développer une société, pas une maison de famille, insiste Rodica Seward. La marque est séparée de l’individu et nous allons la renforcer à l’échelle mondiale. Les éléments de la famille Tajan sont les bienvenus, mais on va travailler en équipe. »
N’ayant pas réussi à décoller, la maison de Pierre Bergé est pourtant la seule française à ne pas avoir reculé en 2004. « Nous avons réduit nos ventes (1) pour avoir une rentabilité par vente plus intéressante. Du coup, nous n’avons pas eu de vacation à perte », affirme Olivier Ségot, directeur administratif de Bergé & associés. Une gestion qui a permis de réduire de deux tiers les pertes par rapport à 2003. La société a restructuré ses départements, avec la suppression de six salaires, notamment dans la section XVIIIe. Le quartier Drouot murmure aussi le prochain départ à la retraite de deux membres de l’association, Éric Buffetaud et Raymond de Nicolaÿ. Les bijoux, qui génèrent un tiers du chiffre d’affaires, restent le pré carré de Frédéric Chambre, épaulé depuis le 10 janvier par Éric Marquand-Gairard, transfuge de Tajan. La création d’un département « multiproduit » ou plutôt fourre-tout est à l’ordre du jour. Une nouvelle direction bicéphale avec d’un côté Frédéric Chambre orienté sur Genève et de l’autre un quadra au gouvernail parisien ne manquerait pas de pertinence. « C’est un scénario plausible », convient Pierre Bergé.

Collaboration, non fusion
Du côté d’Artcurial, « projet entrepreunarial » mais dans lequel la famille Dassault est majoritaire, on admet la nécessité à long terme d’un rapprochement, tout en insistant sur la « pérennité » de la structure. Propriété de François Pinault, Piasa argue enfin de sa complémentarité avec sa « cousine » Christie’s, l’une chassant sur le terrain des grandes collections, l’autre puisant dans le fourrage des successions. Même si elles ne braconnent pas sur les mêmes terres, elles seront de plus en plus conduites à se confronter dans les affaires, raréfaction oblige. Cela avait été le cas lors de la succession Olga Carré en 2002. Piasa n’exclut pas cette année une collaboration plus étroite avec sa cousine pour des œuvres susceptibles de mieux se vendre à l’étranger. Le commissaire-priseur Jean-Louis Picard avait déjà confié à l’auctioneer le Portrait de Monsieur R. de Caillebotte appartenant à l’un de ses clients et cédé pour 2,2 millions de livres sterling (3,4 millions d’euros) en février 2001 à Londres. La fusion ne semble en tout cas pas d’actualité, même si Jean-Louis Picard siège au conseil de surveillance de Christie’s et, inversement, Thomas Seydoux, spécialiste en art moderne de Christie’s, chez Piasa. Reste à voir si, avec le départ à la retraite de Lucien Solanet, apporteur d’affaires au demeurant actif, et sans doute d’ici un an ou deux de Jean-Louis Picard, la société pourra rester dans la course. Peut-être devra-t-elle se rapprocher d’une autre maison classique du type Beaussant-Lefèvre.

(1) 47 ventes en 2004 contre 57 en 2003.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°209 du 18 février 2005, avec le titre suivant : Tajan, Bergé, Artcurial et les autres

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