Paroles d’artiste

Rirkrit Tiravanija : « Réanimer quelque chose qui s’est déjà produit »

Par Anaïd Demir · Le Journal des Arts

Le 18 février 2005 - 744 mots

Convier le public d’une exposition à la cérémonie du thé ou à une partie de baby-foot, transformer une galerie en un studio de répétition ou en café d’immigrés, autant d’actions qui font partie de l’éventail des propositions de Rirkrit Tiravanija. Né en 1961 à Buenos Aires, ce globe-trotter d’origine thaïlandaise a vécu au Canada avant de s’établir à New York. Nous l’avons rencontré à Paris, à l’occasion de son exposition personnelle au Couvent des cordeliers, où sont reconstitués quelques-uns des espaces, de Vienne à New York en passant par Cologne, qui ont accueilli ces dernières années ses expositions en forme de happening.

Votre exposition s’intitule « Retrospective (Tomorrow is Another Fine Day) » [Rétrospective (demain est un autre bon jour)]. N’êtes-vous pas trop jeune pour une rétrospective ?
C’est vrai, mais je pense que l’idée de revenir sur les quinze dernières années est tout de même, avec le recul, une rétrospective. Je pense que ce qui est interrogé là, c’est le travail et les possibilités de regarder en arrière pour le reconsidérer, ou de penser à sa réanimation, à la remise en vigueur d’une situation, d’une action ou d’un contexte…, de quelque chose qui s’est déjà produit et qui a changé depuis le moment précis de sa mise en marche. L’exposition devrait donc traiter de ces notions : le fait de comprendre, avec le recul, ce qui s’est ou non passé, la possibilité de repenser à ce qui faisait son intérêt et quel était son sens possible. Quant aux titres, ils viennent du script écrit par l’auteur de science-fiction Bruce Sterling. Il a d’ailleurs repris le nom d’un de mes anciens travaux : Untitled (Tomorrow is Another Fine Day) (1996, Kunstverein de Cologne). C’est là une pièce qui nous pousse à réfléchir à demain. Le script de Bruce est aussi le noyau dont Philippe Parreno est parti pour écrire son texte, à partir duquel le mien s’est par la suite développé.

De quelle façon présentez-vous vos anciennes pièces dans l’exposition ?
De vive voix, ou plutôt à travers des histoires, des mots et des sons. Il y a six ou sept œuvres réalisées entre 1989 et 2003. En général, je trouve que certaines pièces doivent être présentées à différents stades de leur développement, du début à la fin. Et puis, il y en a d’autres que je trouve importantes mais pas dans l’exposition même ; elles seraient plutôt à intégrer à des pièces en mouvement, des pièces qui seraient comme des carrefours.

Pourquoi avoir invité l’artiste Philippe Parreno et l’auteur de science-fiction Bruce Sterling à scénariser cette exposition ?
Philippe est là en tant qu’ami et collaborateur. J’ai passé avec lui de longues heures à discuter, et ce sont aussi ses idées qui m’ont aiguillé jusqu’à devenir évidentes pour certaines pièces, comme l’idée d’une exposition du « néant », une notion dont il avait été question en zigzag au cours d’un débat. Et Bruce Sterling, parce que c’est un écrivain du futur auquel Philippe et moi nous nous intéressons, et avec lequel Hans Ulrich Obrist (commissaire d’exposition au Musée d’art moderne de la Ville de Paris) et Philippe étaient tous les deux en contact.
L’autre raison, c’est que Bruce Sterling est quelqu’un qui se trouve en dehors de la sphère artistique et qui – il me semble – ne connaît pas du tout mon travail, ce qui lui donne une grande part de liberté, et en même temps des limites. Le texte de Bruce, évidemment, fournit le cadre mais  donne aussi finalement une vue d’ensemble de l’exposition.

Avec vous, l’espace d’art est devenu salon de thé, restaurant thaï, théâtre ou scène de concert… Ce que l’on a appelé l’« esthétique relationnelle » (1) dans les années 1990 signifie-t-il encore quelque chose pour vous ? Qu’attendez-vous du public en général ?
Je peux envisager que tout cela soit du relationnel mais ce serait prétentieux de le classer dans une esthétique. C’est un état quotidien, quelque chose de normal. C’est vrai, je travaille toujours sur des idées de relation, de contact. Mais je n’ai aucune attente vis-à-vis de mon public, à part peut-être celle d’être en bonne relation… sans rien attendre.

(1) définie par le critique Nicolas Bourriaud comme esthétique de l’interhumain, de la rencontre, de la proximité.

Retrospective (Tomorrow is Another Fine Day )

Jusqu’au 20 mars, ARC/Musée d’art moderne de la Ville de Paris, couvent des Cordeliers, 15, rue de l’École-de-Médecine, 75006 Paris, tél. 01 53 67 40 00, du mardi au dimanche 14h-20h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°209 du 18 février 2005, avec le titre suivant : Rirkrit Tiravanija

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