Monographies

Les tubes de la perception

Par Anaïd Demir · Le Journal des Arts

Le 18 février 2005 - 757 mots

Richard Fauguet développe son réseau, de Bruxelles à Bordeaux. Une architecture
rétro-futuriste qui joue sur le magique et le fantastique.

 BRUXELLES, BORDEAUX - Avenue Waterloo, à Bruxelles, il suffit de passer la porte de la Verrière – l’espace d’exposition d’Hermès – pour découvrir les lignes étranges de l’installation tubulaire de Richard Fauguet. À la rupture d’échelle et aux couleurs près, cet agencement de tuyaux de cheminée argentés peut être lu comme un hommage à l’un des projets architecturaux français les plus controversés : le Centre Pompidou conçu par Piano et Rogers, sans oublier le point d’ancrage de ce « paquebot de la culture », l’Atelier Brancusi. Ce n’est pas la première fois que Richard Fauguet utilise avec humour des éléments de « fumisterie » (le matériel utilisé dans la construction des cheminées) dans son travail. 700 mètres de lignes métalliques se croisent dans cette « archi-sculpture » qui pourrait aussi bien passer pour la version 3D d’un dessin. Une épure. Le souvenir que l’on aurait gardé de Beaubourg. Et, comme dans Dogville (2002), le film de Lars von Trier, on se surprend à reconstituer le décor, à jouer des scènes à partir de cette structure pourtant des plus dépouillées. Presque un jeu d’enfant. Sûrement parce que Richard Fauguet aime lui-même s’amuser et se prend peu au sérieux. L’artiste est aussi l’auteur de sculptures faites d’une multitude de billes assemblées ou de tables de ping-pong dont les trajectoires  et impacts des balles auraient persisté dans nos rétines jusqu’à se superposer. Résultat : l’œuvre semble se référer aux travaux de Marey et Muybridge sur le mouvement.
Pop culture et histoire de l’art font d’ailleurs bon ménage chez Richard Fauguet : l’exposition «  Formica Blues » qui vient de se terminer à la galerie Decimus Magnus à Bordeaux présentait des compositions réalisées à partir de dossiers de chaises et de tablettes en Formica. Ces couleurs et ces géométries de cuisine des années 1960 empruntaient autant au répertoire de Calder qu’au Bauhaus.
Assemblages, collages, modelages, images recouvertes de correcteur blanc ou de pâte à modeler, globes lumineux réunis en molécules (de chien, ver de terre…), lustres majestueux faits de points de silicone... : Fauguet part toujours de trois fois rien, de matériaux parfois pauvres mais surtout inattendus. Une manière pour lui de bricoler le réel, de le rendre magique ou fantastique.
Connecté au monde poétique de l’enfance, son travail convoque monstres et chevaliers. Des planches de bandes dessinées ou des photographies recouvertes de correcteur blanc laissent aussi place à des créatures fantasques. Là encore une forme de clin d’œil à un artiste historique : Picasso. Ailleurs, pour des peintures à l’huile sur miroir, il s’allie à Daniel Schlier pour présenter une étrange série de chevaliers. Il faut suivre le regard de Richard Fauguet et avoir un intérêt pour les cheminées pour traquer des personnages directement débarqués de la Guerre des Étoiles (1977) sur les toits de Châteauroux (Indre), où l’artiste vit et travaille. De simples tuyaux de cheminée surmontés d’une plaque de tôle deviennent alors des sculptures du futur.
Il paraît que les toits de Bordeaux sont hantés par ces mêmes personnages. Et cela tombe bien, car c’est dans cette ville que se déroule une autre exposition personnelle de Richard Fauguet, qui inaugure l’espace du FRAC Aquitaine. L’artiste y expose une nouvelle et imposante sculpture minimale faite de ses tubes de cheminées d’argent : entre le moto shopper et le cow-boy, entre le mécanique et l’organique.
La manifestation offre aussi l’occasion de se frotter à son monde plein d’humour et de fantastique à travers une série de pièces : des chevaliers, des Vador, des monstres, des rayogrammes mais aussi des hommages à des artistes avec l’œuvre desquels Richard Fauguet sent une certaine affinité, comme Alain Séchas ou le duo Gilbert & George. L’invitation d’Hervé Legros, directeur du FRAC Aquitaine, vient rappeler que la première œuvre qu’il choisit d’acquérir pour la collection régionale n’était autre qu’un Richard Fauguet, il y a de cela dix ans. Il s’agissait d’une immense composition sur table de verre recouverte d’instruments d’optique tout aussi étrangement attrayants les uns que les autres. Des instruments aux airs d’insecte. Une question de perception encore une fois.

- RICHARD FAUGUET, jusqu’au 19 mars, La Verrière-Hermès, 50, boulevard de Waterloo, Bruxelles, tél. 32 2 511 20 62, du lundi au samedi 10-18h. - RICHARD FAUGUET, 10 ANS DEPUIS..., trois accrochages successifs, jusqu’au 2 avril, FRAC-Collection Aquitaine, Hangar G2, Bassin à flots n° 1, quai Armand-Lalande, 33300 Bordeaux, tél. 05 56 24 71 36, du mercredi au vendredi sur RV uniquement, le samedi 14h-18h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°209 du 18 février 2005, avec le titre suivant : Les tubes de la perception

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