Scandinavie

La lumière du Nord

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 18 février 2005 - 906 mots

La Fondation de l’Hermitage à Lausanne dévoile quelques-uns des peintres les plus marquants des pays nordiques au XIXe siècle.

LAUSANNE - « Au lieu de percevoir les artistes qui se trouvent loin de Paris comme des bénéficiaires passifs d’impulsions françaises, il faut au contraire les considérer comme des joueurs actifs qui, avec leurs traditions et caractéristiques régionales et nationales, assimilent et transforment les impressions extérieures en expressions originales. » C’est en ces mots que Peter Nørgaard Larsen, conservateur au Statens Museum for Kunst à Copenhague, défend la peinture scandinave actuellement à l’honneur à la Fondation de l’Hermitage, à Lausanne. Orchestrée par l’historien de l’art William Hauptman, « Impressions du Nord » revient sur un siècle et demi d’aventure picturale nordique, où l’intimité et la simplicité ont réussi à s’imposer.

« Rien de plus banal »
Lars von Trier n’aurait rien inventé. Si le cinéaste danois a fondé le Dogme 95, ensemble de principes cinématographiques en opposition au cinéma traditionnel, sa démarche fait largement écho à la naissance du Guldalder, ou âge d’or danois. Mené par Christoffer Wilhelm Eckersberg, ce mouvement pictural du début du XIXe siècle se caractérise par son rejet de l’académisme et sa prédilection pour l’usage de l’œil. À l’instar de leurs collègues français, les artistes danois délaissent leurs ateliers et observent la nature. Et le choix des sujets est à l’avenant :  Christen Købke détaille dans un portrait de style académique le visage buriné d’une vieille paysanne, Dankvart Dreyer rend hommage à un petit pont de bois perdu dans la campagne, tandis que Christen Dalsgaard réalise des « portraits » de portes, barrières ou fenêtres. « Rien de plus banal », souligne William Hauptman. L’originalité de ces sujets s’accompagne d’un traitement de la lumière typique de la région : pure, claire, limpide. Cette iconographie rurale redéfinit l’art du paysage. La nature que dépeint Laurits Andersen Ring dans Un jour d’été au fjord de Roskilde (1900) n’est ni italienne, ni arcadienne, elle est danoise. Un sursaut de patriotisme intimement lié aux conflits géopolitiques dont a souffert le pays.
L’école danoise évoluera dès les années 1870 avec le groupe de Skagen. Ce village de pêcheurs situé à la pointe nord du pays accueille l’artiste Michael Ancher et ses comparses, désireux de dépeindre la vie rustique locale encore préservée. L’icône nationale qu’est devenu Soir d’été sur la plage, au sud de Skagen (1893), de Peder Severin Krøyer, détonne sans doute avec les scènes de genre illustrant une jeune fille au tricot ou un pêcheur reprisant son filet du même Krøyer. Vues de dos, deux femmes en robe blanche marchent le long de la plage en discutant. L’horizon vaporeux, les empreintes de pas sur le sable et l’intimité des deux femmes sont pourtant révélateurs d’une approche mêlant naturalisme et pudeur. La propension des artistes à peindre leurs personnages le dos tourné ou de trois quarts est d’ailleurs déconcertante. Le sujet n’est pas l’être humain idéalisé, car celui-ci fait partie du décor, mais bien l’atmosphère d’ensemble. Le détail porte sur l’action, aussi ordinaire ou inexistante soit-elle, et sur la manière dont la lumière se reflète sur les objets. On est certes loin de la foule grouillant sur les boulevards parisiens, du tintement des verres des cafés ou des éclats de rire des guinguettes. Ici, la sphère domestique domine : une femme compose un bouquet de fleurs (Viggo Johansen), une mère tresse les cheveux de sa fille (Christian Krohg) et un jeune cordonnier regarde la pluie tomber sur sa fenêtre (L. A. Ring). Mais, plus que de mélancolie existentielle à la Ingmar Bergman ou d’ennui, il s’agit d’un silence pensif voire d’un spleen contemplatif.

Suède, Norvège et Finlande
Seule nation dotée d’une tradition picturale, le Danemark ne tardera pas à inspirer les pays voisins. À partir de la moitié du XIXe siècle, les mécènes favorisent le développement de l’école suédoise moderne. Le prince Eugen (1865-1947, Suède), lui-même peintre, encourage, de manière officieuse, le marché en passant commande à de jeunes artistes indépendants. Largement bénéficiaires de cette générosité, l’asocial Eugène Jansson, auteur de magistrales vues nocturnes de Stockholm, et Richard Bergh. Son tableau Après la séance de pose (1884) est singulièrement insolent : un modèle se rhabille et, face à la jeune femme, l’artiste observe sa toile tout en jouant du violon. Hormis le visage en « profil perdu » du modèle, toutes les toiles de l’atelier sont retournées ! Cas à part, le richissime Anders Zorn livre des « nus rustiques » étonnants de franchise. En Norvège, outre Edvard Munch – ici représenté par une seule œuvre –, Frits Thaulow réalise des paysages atypiques où les rochers et la neige envahissent la composition, et Erik Werenskiold ose prendre un cureur de fossés pour sujet d’un grand format. L’école finlandaise est principalement représentée par Akseli Gallen-Kallela, dont une ébauche d’illustration pour le Kalevala, histoire fondatrice de la Finlande, est ici présentée.
Pour une première exposition consacrée à l’art scandinave en Suisse, « Impressions du Nord » offre un survol réussi des principaux artistes de Scandinavie. Artistes et non écoles car, comme le souligne le commissaire de l’exposition, leur individualité et leur diversité les rendent inclassables.

IMPRESSIONS DU NORD, LA PEINTURE SCANDINAVE 1800-1915

Jusqu’au 22 mai, Fondation de l’Hermitage, 2, route du Signal, Lausanne, tél. 41 21 320 50 01, www.fondation-hermitage.ch, tlj sauf lundi, 10h-18h, 10h-21h le jeudi, ouverture exceptionnelle les lundis de Pâques et de Pentecôte 10h-18h. Catalogue, coéd. 5 Continents Éd., Milan/Fondation de l’Hermitage, 176 p., 160 ill., 35 euros, ISBN 88-7439-198-6.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°209 du 18 février 2005, avec le titre suivant : La lumière du Nord

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