Art contemporain

Paroles d’artiste

Gérard Fromanger - « Soyons impossibles, demandons la réalité »

Par Anaïd Demir · Le Journal des Arts

Le 4 mars 2005 - 1014 mots

Des passants dans l’ambiance des grands magasins, des affiches de cinéma, des journalistes ou des manifestants en pleine action... Gérard Fromanger est aussi l’auteur d’un drapeau français dont le rouge sanguin déborde sur le bleu et le blanc. Il est l’un des éminents représentants de la Figuration narrative, mouvement qui, dès le début des années 1960, réinvente les codes urbains, joue avec les techniques publicitaires... et contient entre autres les ferments d’une révolution, celle de Mai 68. Nous avons rencontré l’artiste à l’occasion de sa rétrospective qui a débuté à Dole avant de prendre la direction de Séoul, du Luxembourg et de Cuba...

Que montrez-vous dans cette rétrospective ?
C’est un peu une exposition à géométrie variable, parce qu’elle va dans six musées et quatre pays, et les musées sont de taille différente avec des salles différemment architecturées, orchestrées… Il faut un peu faire selon l’espace, des plus petits que sont Dole et Lons-le-Saunier jusqu’aux plus grands comme la Villa Tamaris à la Seyne-sur-Mer ou le Musée national d’art moderne de Corée, qui est gigantesque. Les expositions comprennent de 100 à 250 œuvres. Le principe d’une rétrospective, c’est de faire un peu historique. Toutes les vies se dispersent, se diluent… Chez les peintres, le temps est matérialisé par des tableaux. Alors, quand on retrace comme moi quarante-trois ans de peinture, c’est une chance de voir une vie un peu plus solide que du sable qui fuit…

Qu’avez-vous surtout voulu mettre en avant ?
C’est une peinture « processuelle », comme dit Félix Guatarri, évolutive. J’étais obligé de montrer le plus possible de périodes différentes… par décades, les années 1960, les années 1970, 1980… Tout cela est présenté de façon assez sérielle et chronologique. Et avec une vision assez historique, parce que j’ai beaucoup mis l’accent sur les débuts. J’ai retrouvé toute une série de tableaux de l’époque, que je vais montrer pour la première fois.

Que découvrez-vous à travers toutes ces œuvres ?
Pour le moment, je n’ai pas vu. Il faut être face aux œuvres. On ne peut pas inventer avant d’avoir vu. Quand Christian Bernard, directeur du Mamco à Genève, m’a fait cette grande exposition, il y a deux ans, je n’ai pas reconnu mon œuvre. Il me l’a montrée d’une telle manière ! Il est l’un des premiers à avoir décidé de revisiter Fromanger. Il m’a dit : « Tu as une nouvelle visibilité… » Et je lui ai répondu : « D’accord, mais je ne m’en occupe pas. » Je suis revenu huit jours après, et j’étais épaté. D’où la richesse d’une œuvre, parce que je me suis rendu compte de comment les gens pouvaient la voir. Pour le moment, je ne peux donc pas répondre à votre question. Il faut que je voie l’exposition. En Mai 68, on disait : « Soyons réalistes, demandons l’impossible. » Moi, je dis : « Soyons impossibles, demandons la réalité. »

À quel moment l’art est-il devenu pour vous un engagement ?
C’est le peuple qui change le monde, pas les artistes. L’art maintient fraîche l’idée que cela peut changer, éventuellement. C’est important de montrer que cela peut changer, que tout n’est pas éternel, que l’on peut faire du nouveau même dans le social. Si tu le fais dans l’art, c’est que tu peux le faire partout. C’est exemplaire pour le reste. Tous les peintres sont engagés. Tout le monde est engagé.
 
D’où viennent toutes ces techniques publicitaires dans vos travaux ?
Je me nourris de la radio, de la télévision, des journaux, de l’actualité… Je me nourris de l’histoire. Ma peinture est un ensemble, entre mon histoire et celle de tout le monde. L’inspiration vient d’abord de l’environnement, des copains, des gens que l’on voit. Mes copains, c’était par exemple Arroyo, Aillaud… Dans les années 1963-1964, nous allions dans les boîtes la nuit ensemble, on rigolait… César, en 1962-1963, m’a prêté son atelier pendant deux ans, parce qu’il aimait bien mes dessins. Après, je suis devenu ami avec Giacometti, Prévert… Mais les jeunes, c’était plutôt la bande que j’ai citée,  qui faisait ce qu’on appelle maintenant la Figuration narrative.

Comment vous différenciez-vous des « pop » ?
Je ne suis pas d’accord avec tous ces gens qui parlent du « pop français ». Il n’y a pas de pop français. C’est simple, cela n’existe pas. La Figuration narrative ou Nouvelle Figuration, c’est une exigence européenne de rencontre, justement entre l’art et l’histoire, l’histoire en train de se faire, le politique, la manière dont le monde tourne. Nous, on ne fait pas du « réalisme capitaliste » comme il y a le réalisme socialiste à l’Est et le « réalisme capitaliste » à l’Ouest. Nous contestons, discutons, inventons autre chose. On ne part pas de Rauschenberg ou de Warhol, mais de Giacometti, de Bacon… Ce sont nos pairs, nos pairs d’actualité. Nous acceptons des Américains comme Jackson Pollock, Franz Kline, De Kooning, Rothko…. Mais les autres, on les connaît mal. Et d’ailleurs, toute cette génération américaine venait des surréalistes français, c’est-à-dire ceux qui étaient partis à New York pendant la guerre. Ce sont eux qui ont fait l’humus culturel qui a fondé l’école américaine. C’est Picasso, le cubisme et le surréalisme.

Pourquoi connaît-on aujourd’hui ce regain d’intérêt pour la Figuration narrative, d’après vous ?
C’est très simple, pendant trente ans, les Européens, les Français ont été esclaves des Américains... Ils étaient assujettis à l’Amérique... Et tout d’un coup, ils se disent : « Ah ! Mais Arroyo, Adami, Fromanger, Erró, Rancillac, Télémaque, Monory..., voilà des gens qui, depuis quarante ans, font des choses formidables et continuent à exister, ont une œuvre... » Pourquoi ? Parce qu’il y a à nouveau un goût pour le politique, pour l’image, pour la recherche. Il y a un goût pour l’histoire.

GÉRARD FROMANGER, 1962-2005, RÉTROSPECTIVE

Jusqu’au 5 juin, Musée des beaux-arts, 85, rue des Arènes, 39100 Dole, tél. 03 84 79 25 85, tlj sauf lundi 10h-12h et 14h-19h ; Musée des beaux-arts, place Philibert de Chalon, 39000 Lons-le Saunier, tél. 03 84 47 64 30, tlj sauf mardi 10h-12h et 14h-18h (samedi et dimanche 14h-17h).

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°210 du 4 mars 2005, avec le titre suivant : Gérard Fromanger - « Soyons impossibles, demandons la réalité »

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