Mises en scène

Dans le secret de l’atelier

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 4 mars 2005 - 765 mots

Le Musée d’Orsay dévoile les coulisses des artistes du XIXe siècle à travers les photographies issues de son fonds.

PARIS - Dans L’Atelier du peintre (1855), Gustave Courbet nous livre une allégorie mégalomane de son antre de travail. Il y décline avec emphase toute la gamme de ses talents de peintre : nu féminin, paysage, nature morte et portrait de personnages notoires. Proposée de l’autre côté du hall du Musée d’Orsay, l’exposition « Dans l’atelier » fait judicieusement écho à cette folie des grandeurs. Issu des fonds photographiques du musée parisien, un ensemble de près de 80 clichés choisis par le conservateur Dominique de Font-Réaulx propose un panorama de ces fameux ateliers d’artistes au XIXe siècle. Ici, les grands noms de la photographie (Gustave Le Gray, Charles Nègre) côtoient les anonymes et les artistes s’essayant au sixième art. Mais la tradition de l’artiste immortalisé dans son lieu de création est la même depuis la Renaissance : qu’il soit en pleine action ou qu’il pose, sa volonté de laisser une image emblématique à la postérité est la même.

Intimité du créateur
Si la photographie ne ment jamais, son auteur et ses sujets peuvent librement s’adonner au mensonge, et en l’occurrence à la mise en scène. Avec une grande variété, chacune de ces images révèle l’intention du photographe et le désir de l’artiste. Camille Rogier, peintre devenu administrateur de la poste à Beyrouth, offre une vision théâtrale et involontairement (?) orientaliste de son atelier au Liban. Flagrante, la raideur de la pose confère à l’ensemble un aspect surfait. À l’inverse, L’Atelier de praticiens travaillant pour différents sculpteurs donne une vision collégiale d’un atelier : les sculpteurs, comme interrompus dans leur travail, prennent la pose devant leurs ouvrages. Dans un genre anecdotique, Rembrandt Bugatti fait mine d’embrasser une biche dans un « portrait de famille » au zoo d’Anvers avec, sur le côté, une esquisse en plastilline de l’animal et de ses petits. Quand le Douanier Rousseau pose devant son Nègre attaqué par un jaguar, il fixe l’objectif et tient, l’air altier, son pinceau à la main. Mais lorsque Paul Haviland immortalise Armand Guillaumin devant son chevalet, le peintre a le regard perdu derrière le photographe. La toile, elle, reste cachée. Variation sur le même thème, l’atelier du peintre Jean-Fernand Chaigneau se résume à un assemblage de toiles de tous formats posées sur des chevalets. La chaise de l’artiste est laissée vide...

Une salle entière de l’exposition est réservée aux modèles, principalement des nus reprenant des poses inspirées de sculptures antiques, comme chez Jean-Louis Igout. Les modèles donnent parfois lieu à de véritables jeux de scène, comme ces trois personnes vêtues de costumes égyptiens qui défilent à la manière de hiéroglyphes. Les clichés peuvent également aider à la préparation de tableaux. Pour un panneau décoratif du pavillon de Bosnie-Herzégovine de l’Exposition universelle de 1900, Alphonse Mucha réalise une mise au carreau de son modèle directement sur le document photographique.

Dans La Photographie au Musée d’Orsay : Dans l’atelier, ouvrage publié à l’occasion de l’exposition, Dominique de Font-Réaulx explique qu’« en photographiant l’atelier de son ami peintre, le photographe ne cherche pas seulement à rendre sensible l’atmosphère du lieu, fervente et créatrice, mais aussi celle de son propre atelier, confondant l’un et l’autre dans une sorte d’hommage amical ». En effet, lorsque les peintres s’essayent à l’art de la photographie, leur démarche relève parfois plus de l’hommage que de la documentation : Émile Bernard qui immortalise Paul Cézanne devant ses Grandes Baigneuses, ou Pierre Bonnard saisissant Auguste Rodin sculptant le buste de Falguière. Là, l’œil de l’artiste en admiration prévaut sur celui du photographe.

Mais, ces instantanés peuvent également être à l’origine de démystifications chez les âmes trop romantiques. L’idée de Camille Corot – peintre de plein air par excellence – en pleine communion avec la nature captive l’imagination. Paré de tous ses accessoires (tabouret, chevalet et ombrelle), il pose pour le peintre Charles Paul Desavary. Cependant, la platitude de la scène en éteint un peu le charme. En revanche, l’électricité du regard d’Henri Matisse devant sa Serpentine nous donne l’impression de pénétrer dans l’intimité du créateur. C’est tout le talent du photographe Edward Steichen d’avoir su saisir, en plan rapproché, ce moment privilégié entre l’artiste et son œuvre.

DANS L’ATELIER

Jusqu’au 15 mai, Musée d’Orsay, 1, rue de la Légion-d’Honneur, 75007 Paris, tlj sauf lundi, 10h-18h, 10h-21h45 le jeudi, 9h-18h le dimanche, tél. 01 40 49 48 14, www.musee-orsay.fr. Catalogue, La Photographie au Musée d’Orsay : Dans l’atelier par Dominique de Font-Réaulx, coédité par le Musée d’Orsay et les Éditions des 5 Continents, 96 p., 62 ill. couleur, 10 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°210 du 4 mars 2005, avec le titre suivant : Dans le secret de l’atelier

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