Maison rouge

Hamilton a mis le ton

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 18 mars 2005 - 593 mots

Pour la première exposition personnelle qu’elle organise, la Fondation de Galbert
a invité Ann Hamilton. L’Américaine y met en scène un parcours sensible.

 PARIS - La Maison rouge, à Paris, se devait, pour la première exposition monographique qui s’y tient, de recevoir une œuvre qui sache réagir à l’espace, s’y plier sans s’y contraindre. C’est chose faite avec Ann Hamilton, l’artiste américaine qui a conçu « Phora », titre d’une exposition-œuvre inscrite avec justesse dans la topographie complexe du lieu. Avec une claire intelligence des espaces et des déplacements du spectateur, Ann Hamilton propose un parcours très écrit, qui associe visuel, sonore et perception de l’environnement. L’on a peu vu en France, sauf au Musée d’art contemporain de Lyon, d’œuvres importantes de cette artiste pourtant aujourd’hui solidement consacrée en Amérique, qui en plus d’installations dans ses plus grandes institutions, a représenté les États-Unis lors de la Biennale de Venise 1999. Née en 1956, Ann Hamilton vit et travaille dans l’Ohio.
À la Maison rouge, les images de bouches qui tapissent l’accès aux salles et le patio ont une belle présence, par le son de leur silence et par la « tactilité » de l’image même, tirages d’après image vidéo de gros plans de bouches de sculptures médiévales. Dans le prolongement de l’entrée, la grande salle sombre est parcourue par les mouvements d’une image projetée, lancée à la poursuite d’un stylo-plume qui trace un horizon sans fin sur le mur. Cinq haut-parleurs montés sur des bras rotatifs apportent une présence vertigineuse de voix tourbillonnantes dans cet espace très vide. L’on ressort de là flottant, pour retrouver la Maison rouge et les bouches secrètes épinglées au mur. Un son tournoyant attend à nouveau le spectateur, mais cette fois dans un espace apaisé, en attente, plus lent. Des pavillons dignes de trombones assemblés tête-bêche laissent sourdre des bribes de conversation en plusieurs langues. Au centre, une tente type tente pour réfugiés offre un abri et délimite le parcours du spectateur, car elle flotte, suspendue dans l’air. La sensation d’une intériorité précaire rend plus intense l’attente des bribes de parole dites par trois voies féminines, dont celle de l’artiste. En contrebas, mêmes instruments à sons mais qui jouent là comme sur un vieux crincrin des marches militaires alors que flottent en l’air des effigies silencieuses faites de vêtements pendus.

Mécanique bien huilée
Une absence dramatique envahit l’espace, plus prenante mais plus juste, plus distanciée, avec la grande scène de théâtre vide qui s’insère dans le sous-sol, à l’aplomb de la tente vue au-dessus.
Cinq mouvements pour une installation qui ménage un parcours émotionnel garanti. Mais cette maîtrise est aussi le défaut de l’installation : comme une mécanique bien huilée, tout est à sa place, tout fonctionne et sollicite une attention mesurée, même dans la dimension poétique, voire métaphysique. Une maîtrise qui confine à l’effet d’autorité, ne laissant rien au hasard de la découverte, de l’échappée, du contre-pied. Le vocabulaire est relativement convenu, et les effets assurés, donc limités. On aimerait se laisser surprendre, et l’artiste avec ; on aimerait que l’enjeu des références (et pas des moindres, avec Hölderlin ou Heidegger) s’impose plus par les dispositifs eux-mêmes que par la notice de l’exposition, remise au visiteur à l’entrée. Ce qui n’empêche pas le parcours de constituer un moment sensible, que l’on ne regrettera pas, mais qui laissera moins de traces au visiteur qu’il n’en promet.

ANN HAMILTON, PHORA

Jusqu’au 22 mai, La Maison rouge-Fondation de Galbert, 10, bd de la Bastille, 75012 Paris, tél. 01 40 01 08 81, www.lamaisonrouge.org, tlj sauf lundi et mardi 11h-19h, jeudi jusqu’à 21h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°211 du 18 mars 2005, avec le titre suivant : Hamilton a mis le ton

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