Danese

Laboratoire idéal

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 1 avril 2005 - 895 mots

Le Mudac de Lausanne retrace l’histoire de cette société qui a marqué le design transalpin.

 LAUSANNE - En Italie, on l’appelle « la Danese », un peu comme on dit « la Callas » lorsqu’on parle de Maria Callas. Fondée par Bruno Danese et sa femme, Jacqueline Vodoz, cette firme d’édition d’objets a écrit, entre 1957 et 1991, une page importante de l’histoire du design transalpin. C’est précisément cette « page » que met en scène le Musée de design et d’arts appliqués contemporains de Lausanne (Mudac) dans une exposition passionnante baptisée explicitement « Danese, éditeur de design italien, Milan 1957-1991 ». Plus de 200 pièces originales – affiche, estampe, objet, sculpture, emballage, photographie… – évoquent ainsi les trente-cinq années de cette aventure fabuleuse et rare. Rare car, comme l’explique avec pertinence Stefano Casciani, exégète de la « saga » Danese et auteur du livre Art industriel. Jeu/objet/pensée. Danese et sa production (éditions Arcadia, Milan, 1988), « dans un pays arriéré et bigot comme l’Italie des années 1950, puis à travers des décennies de vie de ce pays et sa difficile marche vers la modernisation, il a été possible de réaliser un modèle d’“atelier” ou de “laboratoire” idéal que d’autres n’ont su imaginer que comme utopie […] ».
D’emblée, la Danese fonctionne sur un registre qui mêle expérimentation et production, la seconde étant inconcevable sans la première. L’éditeur se frotte à tous les publics (enfants, adultes), tous les matériaux (céramique, bois, aluminium, pierre, fer, marbre, plastique, verre…), tous les types de fabrication (artisanal, industriel). En revanche, tous les designers ne sont pas conviés dans ce « laboratoire idéal », bien au contraire. En trente-cinq années, ils ne seront que sept à participer à l’entreprise : Franco Meneguzzo, Bruno Munari et Enzo Mari (de loin les deux éléments phares), Angelo Mangiarotti, Achille Castiglioni, Kuno Prey et Marco Ferreri. C’est l’une des clés de la « philosophie » Danese : une confiance absolue envers une poignée de créateurs. Idem avec les fabricants, triés sur le volet et choisis en fonction de leur motivation à produire ces nouveaux objets.
Dès la fin des années 1950, quatre domaines sont explorés en parallèle : la « Production » d’objets en série, les « Éditions d’art », les objets « Faits main », enfin les « Éditions pour enfants ». Le Mudac les a déployés tels quels, de manière didactique. Le duo Mari-Munari bénéficie, à juste titre, du plus vaste espace. Face à face, deux personnalités. D’une part, un Bruno Munari dans la force de l’âge – 50 ans en 1957 –, sûr de lui et de son travail. De l’autre, un Enzo Mari jeunot – 25 ans et alors imberbe –, qui, pétri de doutes, vise la confirmation par l’expérimentation. Des deux côtés, la démonstration est de haute volée. En témoignent moult pièces, dont certaines sont aujourd’hui devenues des icônes, tels le cendrier de table Cubo, la corbeille à papier Madagascar et la lampe en jersey Falkland (Munari), le calendrier Timor, la corbeille à fruits Atollo et le coupe-papier Giglio (Mari). En regard de la production de ce tandem vedette sont montrées quelques pièces d’autres designers, tel le vase Tremiti de Mangiarotti ou le fameux verre double Paro de Castiglioni.

Communication visuelle
Plus loin, une salle dévoile le travail sur les jeux éducatifs. Leur particularité : ces jeux n’ont pas de règles et font la part belle à l’imaginaire de l’enfant. Sont, entre autres, exposés les Seize Animaux (Mari, 1957), fantastique bestiaire taillé dans un même bloc de bois, ou encore les Prélivres (Munari, 1979), douze petits livres carrés pour les trois à six ans, réalisés chacun dans une matière différente (bois, papier, carton, tissu-éponge…). Dans une salle intitulée « Les Faits main » s’étalent des travaux d’Enzo Mari sur divers matériaux (verre, argent, porcelaine, marbre…), dont une série de plateaux en plaques de fer, aux subtiles soudures de cuivre. Enfin, dans la salle « Éditions d’art » sont réunies des recherches plus « libres », qui résultent des interrogations que se posent ces designers alors plongés au cœur des divers mouvements artistiques de l’après-guerre. On retiendra, notamment, cette splendide Sculpture de voyage (Munari, 1958) ou « objet à fonction esthétique », pliable pour l’emporter avec soi dans ses bagages.
On ne peut admirer l’ensemble de ces pièces sans aborder une dernière facette de la stratégie Danese : celle du graphisme et de la communication. Dès 1957, le couple Danese-Vodoz fait en effet figure de pionnier en matière de communication visuelle. Au rez-de-chaussée, une ultime salle intitulée « Le Goût de la communication » le montre à l’envi : depuis ce logo intemporel – créé par Meneguzzo, en 1957, puis fignolé par Mari, en 1962 – jusqu’aux catalogues de vente, emballages, cartons d’invitations et autres plaquettes d’expositions...
Bruno Danese et Jacqueline Vodoz ont cédé leur société en 1991. Depuis, la Danese nouvelle version a (déjà) changé de mains trois fois. Rien qu’entre 2001 et 2004, son propriétaire actuel a fait appel à près d’une vingtaine de designers… Tout l’inverse donc de la philosophie d’origine. D’où le mérite de cette exposition qui conte cette épopée singulière tout en remettant les pendules à l’heure.

Danese, Éditeur de design italien, Milan 1957-1991

Jusqu’au 15 mai, Musée de design et d’arts appliqués contemporains, 6, place de la Cathédrale, Lausanne, Suisse, tél. 41 21 315 25 30, www.mudac.ch, tlj sauf lundi, 11h-18h (ouvert le lundi en juillet-août, 11h-18h).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°212 du 1 avril 2005, avec le titre suivant : Laboratoire idéal

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