Histoire

Sartre, la pensée libre

Le Journal des Arts

Le 15 avril 2005 - 786 mots

Philosophe, écrivain et politique, Jean-Paul Sartre compte parmi les grands intellectuels engagés du XXe siècle. La BNF lui rend un vibrant hommage.

PARIS - « Je veux être Spinoza et Stendhal. » Cette formule de Jean-Paul Sartre (1905-1980) à Simone de Beauvoir en dit long sur les ambitions intellectuelles et littéraires qui ont animé l’auteur de La Nausée (1938), envisageant ses écrits comme une synthèse de la matière philosophique et de la forme littéraire. Après une enfance solitaire qu’il évoquera dans Les Mots (1964), Sartre étudie au lycée Louis-le-Grand puis à l’École normale supérieure, à Paris. Sa rencontre avec Simone de Beauvoir en 1929, alors qu’ils préparent l’agrégation de philosophie, est décisive. Lettres, diplômes, photographies et témoignages rappellent dans l’exposition de la Bibliothèque nationale de France (BNF) les débuts littéraires de Sartre, en prélude à un parcours chronologique déroulant la vie et l’œuvre de l’un des témoins majeurs de l’histoire du XXe siècle.
En 1939, Sartre est soldat. Il termine le premier volume des Chemins de la liberté. Il rédige un journal de guerre d’une quinzaine de carnets entre 1939 et 1940. L’expérience de la drôle de guerre lui apprend la solidarité et le sens de l’engagement. Il est de retour à Paris en mars 1941. Son talent de dramaturge est révélé par Les Mouches deux ans plus tard. Huis clos, Les Mains sales, Le Diable et le Bon Dieu ou La P… respectueuse confirmeront la popularité de son œuvre théâtral. Dans les années 1940, il fréquente Picasso, Leiris et Camus. L’après-guerre est pour Sartre le temps de Saint-Germain-des-Prés, de l’effervescence des discussions littéraires aux terrasses des cafés. Dans un décor évoquant le café Les Deux Magots, le visiteur peut écouter des extraits de « La Tribune des Temps modernes » (1947), émission radiophonique de Sartre liée à la revue du même nom qu’il a créée en 1945. C’est d’ailleurs dans le premier numéro des Temps modernes qu’il énonce, en forme de manifeste, sa conception de la littérature : « Dans la littérature engagée, l’engagement ne doit en aucun cas faire oublier la littérature […], notre préoccupation doit être de servir la littérature en lui infusant un sang nouveau, tout autant que de servir la collectivité en essayant de lui donner la littérature qui lui convient. » L’exposition met en évidence son importance dans l’histoire de la presse et son approche du journalisme, qu’il utilisera pour militer en faveur de la paix et contre toutes les atteintes aux droits de l’homme. Il écrit dans Combat, Les Lettres françaises, et fonde le quotidien Libération en 1973. Son activité de journaliste le mènera aussi en Amérique – reportages pour Combat et Le Figaro –, en Espagne, en Italie.

Exposition incarnée
En 1948, Sartre entre au Rassemblement démocratique révolutionnaire, un mouvement qui se considère comme une « troisième gauche », alternative au Parti communiste français et à la SFIO, et qui se révèle être un échec dès l’année suivante. L’exposition montre aussi les ambiguïtés des rapports de Sartre au communisme. Il est « compagnon de route » en 1949, soutenant avec enthousiasme les communistes, puis rompt définitivement avec eux en 1956 après l’intervention des troupes soviétiques à la suite de l’insurrection de Budapest. Sa fidélité à ses convictions socialistes est en revanche constante, comme son anticolonialisme militant. Avant la guerre d’Algérie, Sartre prend position en faveur des indépendantistes marocains, tunisiens et indochinois. Au cours des années 1960, il est un ambassadeur de la pensée contestataire, multipliant dans tous les pays (Chine, Japon, Cuba, Brésil, Portugal…) les conférences de presse et les entretiens. Sans jamais cesser de militer pour la paix au Proche-Orient.
En une scénographie qui fait la part belle aux extraits de films, aux entretiens – nombreux durant les dernières années de sa vie, dont certains sont inédits –, cette exposition redonne vie à l’homme et à son œuvre, en replaçant toujours cette dernière dans le contexte de son époque, documents d’archives à l’appui. Les inconditionnels de Sartre comme les néophytes y trouveront leur compte. Près de quatre cents carnets, affiches, photographies, journaux, ouvrages, lettres provenant en majorité du département des Manuscrits de la BNF permettent de comprendre la complexité du personnage et les « chemins de la pensée » de celui qui disait vouloir être « un homme, fait de tous les hommes, et qui les vaut tous, et que vaut n’importe qui ».

SARTRE

Jusqu’au 21 août, Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand, quai François-Mauriac, 75013 Paris, tél. 01 53 79 59 59, www.bnf.fr, mardi-samedi 10h-19h, dimanche 12h-19h, fermé lundi et jours fériés. Cat. Gallimard/BNF, coll. « Livres d’art », 2005, 292 p., 240 ill., 48 euros, DVD inclus, ISBN 2-07-011804-5. À lire : Sartre, un penseur pour le XXIe siècle, Gallimard/Découvertes, 160 p., 13,90 euros, ISBN 2-07-031717-X.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°213 du 15 avril 2005, avec le titre suivant : Sartre, la pensée libre

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