Espace privé

Montreuil accueille l’art brut

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 15 avril 2005 - 575 mots

L’association abcd ouvre un lieu pour montrer la riche collection réunie par le réalisateur Bruno Decharme.

MONTREUIL (SEINE-SAINT-DENIS) -  Dans un immeuble quelconque d’une petite rue de Montreuil-sous-Bois se cache un loft cossu empli d’œuvres. Chaque week-end depuis la mi-mars, la galerie abcd invite les visiteurs à découvrir un florilège de dessins, peintures et sculptures de sa collection d’art brut. Clin d’œil à l’envoûtement fatal qu’exercent les œuvres d’art brut sur leurs admirateurs, « Le Chant des sirènes » inaugure le cycle d’expositions de cet espace non commercial.
Créée en 1999, l’association abcd (art brut connaissance & diffusion) est formée d’une dizaine de collectionneurs, psychanalystes, historiens de l’art ou écrivains réunis par leur fascination pour cet art à part révélé par Jean Dubuffet et André Breton. La réconciliation entre ces deux figures farouchement opposées et l’approfondissement des connaissances sur l’art brut est au cœur des ambitions intellectuelles du groupe. Les spécialités de chaque membre se complètent bénéfiquement lors de la conception des publications et expositions. Mais le centre névralgique d’abcd est indiscutablement sa collection, qui réunit plus de 200 artistes de nationalité polonaise, russe, tchèque voire brésilienne, dont une centaine ont été découverts par le fondateur de l’association, Bruno Decharme. Après des études de philosophie et d’histoire de l’art, ce réalisateur s’est brusquement intéressé à l’art brut  lors de l’exposition en 1967 de Jean Dubuffet au Musée des arts décoratifs de Paris, un choc esthétique dont il ne s’est pas encore remis. De là le désir de réaliser des documentaires sur ces artistes mais surtout une collectionnite aiguë – d’abord pour la constitution d’un fonds historique puis en vertu d’un travail de découverte toujours d’actualité. Si les prêts à diverses expositions ont débuté dès 1980, l’idée d’un espace pour montrer cet ensemble d’œuvres tel que Bruno Decharme l’envisageait ne s’est concrétisée que l’an dernier avec l’acquisition de cet « endroit pas trop grand dans un quartier en plein développement ».
Riche d’œuvres d’artistes devenus célèbres comme Adolf Wölfli ou Augustin Lesage, la collection réserve quelques perles comme ce lit et ce buffet en bois sculpté par l’abbé Fouré, connu pour son travail titanesque de sculpture sur les rochers de la plage de Rothéneuf, près de Saint-Malo, ou ces splendides dessins aux crayons de couleurs de Janko Domsic. Parallèlement aux destins personnels toujours singuliers des artistes, on retrouve les composantes esthétiques de l’art brut : inspiration divine, sujets héroïques, écritures, symétrie de la composition, richesse des couleurs, répétitions des motifs… Fatalement indéchiffrable, l’art brut n’est pourtant pas hermétique. Son appréciation se joue en effet à deux niveaux. Le premier est celui de l’esthétisme, accessible à tous, le second celui de l’approche psychiatrique, évidemment réservée aux initiés. Une dualité typique d’un art « qui mêle hypersimplicité et hypercomplexité », comme le décrit Bruno Decharme.
Reste à savoir si la fréquentation du public complétée par une hypothétique subvention annuelle de la Mairie de Montreuil permettront à la galerie abcd de réaliser ses souhaits : l’organisation de débats et conférences mais surtout de deux expositions par an, mêlant les œuvres de la collection à des prêts de l’extérieur – comme la collection Prinzhorn de la Clinique psychiatrique universitaire de Heidelberg. À terme, le vœu intime de Bruno Decharme serait de voir la collection devenir musée dans sa ville d’adoption, Prague.

LE CHANT DES SIRÈNES

Jusqu’au 11 juillet, abcd la galerie , 12, rue Voltaire, 93100 Montreuil-sous-Bois, tél. 06 22 26 70 56, www.abcd-artbrut.org, ouvert le samedi et le dimanche 11h-19h.

2005, année de l’art brut

Si Jean Dubuffet, créateur en 1945 du concept de l’« Art Brut », souhaitait cultiver un côté confidentiel, les collectionneurs travaillent depuis une quinzaine d’années pour sortir l’art brut de l’ombre. 2005 sera riche en expositions sur le sujet : « Écriture en délire » jusqu’au 31 juillet à la Collection de l’Art Brut à Lausanne ; « Images de l’inconscient » à partir du 12 septembre à la Halle Saint-Pierre (2, rue Ronsard, 75018 Paris, tél. 01 42 58 72 89) ; « Arnulf Rainer et sa collection d’art brut » à partir du 24 juin à la Maison rouge/Fondation Antoine-de-Galbert (10, bd de la Bastille, 75012 Paris, tél. 01 40 01 08 81).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°213 du 15 avril 2005, avec le titre suivant : Montreuil accueille l’art brut

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