Analyse

Quand le marché s’emmêle les pinceaux avec l’histoire de l’art

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 27 mai 2005 - 497 mots

Quel point commun peut-il bien exister entre le New Hoover Quick-Broom de Jeff Koons et Adam et Eve de Lucas Cranach ? Entre May Day d’Andreas Gursky et le Jardin des délices de Hieronymus Bosch ? Rien, si ce n’est le parallèle ridicule qu’en a fait Sotheby’s dans le catalogue de sa vente d’art contemporain du 10 mai.

Si « Histoires de musée » au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, en 1989, repris en écho par les « Correspondances » d’Orsay ou les « Contrepoints » du Louvre, souhaitait rendre plus vivantes et actuelles les œuvres du passé en invitant les artistes à créer une œuvre en dialogue, les rédacteurs des catalogues de vente s’échinent, eux, à offrir une pseudo-assise historique aux œuvres contemporaines. Une légitimité leur permettant de justifier des estimations délirantes.

Les mises en perspective sont certes les bienvenues dans un contexte où l’art contemporain s’achète parfois sans jugement, comme le dernier sac Vuitton revu et corrigé par les cerises de Takashi Murakami. Elles sont nécessaires quand les connaissances de la clientèle butent à la lisière des années 1980 ou, dans le meilleur des cas, des années 1970. Mais arrêtons de faire passer des vessies pour des lanternes en prétendant qu’un Roy Lichtenstein aurait observé Bronzino ! Ou qu’il y aurait une quelconque filiation entre The Adoration de la jeune Inka Essenhigh, proposé le 12 mai par Christie’s, et l’Adoration des bergers du Greco. Et Maurizio Cattelan est davantage l’héritier de Marcel Duchamp que de Robert Rauschenberg malgré le parallèle formel entretenu par Christie’s entre l’Autruche de l’Italien et le Monogram de l’artiste pop américain.

On s’étonne qu’une telle débauche explicative soit nécessaire pour vendre certains artistes actuels, alors qu’une belle sculpture de Constantin Brancusi n’exige pas de parallèles aussi poussifs pour s’adjuger à 27,4 millions de dollars (21,7 millions d’euros) (lire p.29). Les spécialistes arguent que les clients achètent plus des dossiers que des œuvres. Les garanties consenties par Sotheby’s justifient peut-être les dix pages dévolues dans le catalogue respectivement à John de Chuck Close et à la Liz d’Andy Warhol. Soit, mais encore faut-il que ces dossiers ne cultivent pas de dialectiques fantaisistes. Le courtier Marc Blondeau relève d’ailleurs que, dans cette course à la comparaison, les spécialistes ont parfois tout faux. D’après lui, le Study for Jennifer’s Portrait de Charles Ray proposé par Christie’s le 12 mai aurait plus à voir avec la sculpture présentée à la Biennale de Venise voilà deux ans qu’avec le Male Mannequin de 1990 publié dans le catalogue.

Les parallèles sont d’ailleurs à double tranchant. Celui, pertinent, entre Marlene Dumas et Edvard Munch pourrait faire pencher la balance du côté de l’artiste norvégien. Car pourquoi devrait-on acheter un Marlene Dumas au prix d’un Munch ? Quand le marché de l’art se pique d’écrire l’histoire, faut-il rafraîchir certaines mémoires ? Rappeler par exemple qu’un peintre pompier comme Bouguereau valait au XIXe siècle plus cher qu’un Monet. Et le marché de l’art actuel regorge de Bouguereau…

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°216 du 27 mai 2005, avec le titre suivant : Quand le marché s’emmêle les pinceaux avec l’histoire de l’art

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