Lille

Qui était le Maître au feuillage brodé ?

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 27 mai 2005 - 807 mots

Le Palais des beaux-arts mène une enquête passionnante au cœur d’un atelier flamand de la fin du XVe siècle.

 LILLE - Peintre énigmatique inconnu du grand public, le « Maître au feuillage brodé » fut découvert par l’historien d’art Max J. Friedländer en 1926, qui le nomma ainsi en raison de son traitement systématique du feuillage en de petites touches imitant des points de broderies. À l’instar de nombreux primitifs flamands, les spécialistes lui ont attribué un ensemble de peintures restées anonymes. Arrivée il y a à peine plus de deux ans au Palais des beaux-arts de Lille, Florence Gombert s’est lancée dans une passionnante enquête pour percer le mystère de ce peintre de la fin du XVe siècle que Max J. Friedländer décrivait comme « un petit maître sans invention ». Au départ, il s’agissait seulement de rassembler les trois Vierges attribuées à l’artiste, conservées à Lille, à Williamstown (Massachussetts) et à Minneapolis (Minnesota), dans le cadre de Frame (French Regional & American Museums Exchange), regroupement de musées régionaux français et américains. « Le tableau de Williamstown s’est vite avéré très différent des deux autres (comme pourra le constater le visiteur). Dès lors, nous nous sommes interrogés sur l’histoire de l’attribution de ces œuvres et le projet a pris une nouvelle tournure », raconte la conservatrice. Résultat : une trentaine d’œuvres provenant du monde entier ont été réunies à Lille pour faire le point sur l’atelier bruxellois où travaillait le Maître au feuillage brodé. « Il serait absurde de chercher à savoir qui se cache derrière ce peintre, en rêvant de découvrir un nouveau Van Eyck ou Van der Weyden, précise Florence Gombert. Notre propos est de voir plutôt comment fonctionne le groupe d’œuvres attribué à son atelier, comment étaient réparties les charges de travail, quelles étaient les sources d’inspiration. » L’exposition pourrait même faire émerger non pas un seul mais plusieurs ateliers travaillant en synergie…

L’anonymat célébré
Pour le moins ardu pour le non-initié, le propos de l’exposition est servi par des panels explicatifs très accessibles. Par d’habiles jeux de perspectives et un espace aéré, la scénographie offre la possibilité de comparer les œuvres entre elles. Une séquence consacrée aux radiographies et photographies par infrarouge permet également de découvrir les enjeux de la recherche en histoire d’art.
Outre le motif du feuillage brodé, le style de ce mystérieux atelier bruxellois se distingue par un modèle de Vierge créé à partir d’une Madone de Rogier Van der Weyden. En témoignent les tableaux rassemblés ici, qui présentent des similitudes étonnantes, particulièrement les toiles de Lille et Minneapolis. Il semblerait que La Vierge à l’Enfant couronnée par deux anges, conservée à Bruges, soit la plus ancienne. Datée entre 1476 et 1482, elle aurait déclenché une série d’autres commandes ou simplement inspiré d’autres peintres. Le groupe bruxellois représente toujours la Vierge en fiancée de Dieu, assise dans un jardin clos, les yeux baissés, tenant un livre saint dont l’Enfant tourne les pages, dans des décors fourmillant de symboles. D’autres particularités permettent encore de rapprocher les membres de l’atelier : l’importance accordée au paysage, fait assez rare pour les peintres bruxellois de la fin du XVe siècle – les œuvres furent ainsi longtemps associées à Bruges – et l’usage récurrent de certains motifs pour les bâtiments (chaumière et édifice à pignons entouré d’eau, complexe palatial avec donjon dominant une église, loggia polygonale…). Le colloque organisé au musée de Lille pour l’occasion (lire l’encadré) devrait permettre d’approfondir le sujet et de distinguer les différents peintres ayant exercé dans l’atelier du Maître au feuillage brodé. Parmi eux, l’hypothèse retenue est que le Maître de la Madone Grog ait réalisé les figures du Triptyque de la Vierge à l’Enfant conservé à Lille, de la Vierge à l’Enfant dans un jardin de Minneapolis, ainsi que les Sainte Catherine et Sainte Barbe de Rotterdam. D’autres personnalités émergent également du groupe : l’auteur de la Déploration du Christ du Musée des beaux-arts d’Amiens, celui de la Madone de Bruges, mais aussi Colijn de Coter, probable créateur de la Vierge à l’Enfant de Williamstown, et Aert Van den Bossche, à qui l’on doit l’impressionnant Martyre des saints Crépin et Crépinien. Le directeur du musée, Alain Tapié, se félicite de ces recherches : « À l’heure où les foules se pressent dans les musées à la seule évocation de noms connus, Lille célèbre l’anonymat, la création artisanale en atelier, le travail en groupe. » Un aspect fondamental de la création flamande à la fin du XVe siècle que Florence Gombert a su habilement mettre en exergue pour mieux servir la recherche et éveiller l’œil des visiteurs.

LE MAÎTRE AU FEUILLAGE BRODÉ

Jusqu’au 24 juillet, Palais des beaux-arts de Lille, place de la République, 59000 Lille, tél. 03 20 06 78 00, ouvert tlj sauf lundi matin et mardi, 10h-18h et 19h le vendredi. Catalogue, éditions RMN, 128 p., 25 euros.

Secrets d’ateliers

La confrontation des tableaux attribués au Maître au feuillage brodé à Lille soulève de nombreuses questions sur les méthodes d’attribution et les démarches des peintres dans les ateliers bruxellois de la fin du XVe siècle. Les 23 et 24 juin, un colloque devrait permettre de définir de nouveaux axes de recherche et rendre publics les premiers résultats de cette enquête qui a commencé à Williamstown et Minneapolis, où quatre tableaux de Vierge à l’Enfant attribués au peintre flamand ont été étudiés par infrarouge. Ces analyses pourraient révéler un réseau de peintres autour de l’œuvre du Maître au feuillage brodé, faisant émerger des collaborations d’artistes dans un contexte de production et de copies intenses. Parmi les intervenants, citons M. W. Ainsworth, conservateur au Metropolitan Museum of Art de New York, T. Borchert, conservateur au Groeninge Museum de Bruges, L. Campbell, conservateur à la National Gallery de Londres, A. Châtelet, ancien professeur à l’université Marc-Bloch de Strasbourg, A. Scherer, docteur en histoire de l’art au Verlag für moderne Kunst de Nuremberg...

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°216 du 27 mai 2005, avec le titre suivant : Qui était le Maître au feuillage brodé ?

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