Boulogne

Un design dans le courant

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 10 juin 2005 - 800 mots

Le Musée des Années 30 se penche sur le Streamline en oubliant Raymond Loewy.

 BOULOGNE-BILLANCOURT - Simple coïncidence. Au moment même où, sur l’île Seguin, à Boulogne-Billancourt, se dérobe cette « locomotive » artistique que devait être la Fondation Pinault, s’ouvre, à quelques pas de là, une exposition sur les… locomotives, ou, plus exactement, sur les objets ayant été inspirés par la silhouette de ces drôles de machines. Le Musée des Années 30 présente en effet une exposition intitulée « Un design américain, le Streamline des années 1930 à nos jours ». « Streamline », en anglais, signifie quelque chose comme « le fil du courant ». Née aux États-Unis au lendemain de la crise économique de 1929 et active, en réalité, jusque dans les années 1950, cette tendance stylistique avait un but évident : rendre l’objet domestique plus agréable à l’œil, donc plus attirant pour le consommateur. Solution : le parer des formes emblématiques du progrès technologique, en l’occurrence celles des engins destinés à se déplacer dans un fluide à vitesse maximale – voiture, train, bateau, avion –, que des études poussées en hydro- ou aérodynamique pourvurent de silhouettes admirables.
Rien d’étonnant donc à trouver ici rassemblés une multitude d’objets en forme de torpille, de goutte d’eau, de museau de locomotive ou d’étrave de navire… En tout, quelque 180 pièces – « jamais exposées auparavant » –, issues de la collection Eric Brill et du fonds Liliane & David M. Stewart du Musée des beaux-arts de Montréal. L’exposition les a déployées de manière classique, sous forme de thématiques : la cuisine, la salle de bains, le bureau, les loisirs… Certains objets sont remarquables. Ainsi l’aspirateur-traîneau Electrolux de Lurelle Guild, « croisement d’une fusée et d’une luge » ; le ventilateur Vornado de Richard Ten Eyck, caréné comme un réacteur d’avion ; un compresseur d’air au profil de tête de cheval dessiné par Roland A. Manning ; ou encore la trancheuse à viande Streamliner d’Egmont H. Arens et Theodore C. Brookhart, aux lignes si douces et pourtant, on l’imagine, constamment sanguinolentes.

« Ovoïdité »
Passés au tamis du Streamline, les objets les plus humbles de la vie quotidienne – cocotte, grille-pain, presse-agrumes, fer à repasser, perceuse électrique, machine à coudre, taille-haie, scie circulaire, sèche-cheveux, poste de radio, appareil photo… – arborent des contours étonnants. La forme ovoïde est reine. Ainsi cet amusant Top-O-Stove ou « four à pomme de terre », petit dirigeable en aluminium qui permet de cuire un tubercule à l’unité, et ce mixeur d’Arthur W. Seyfried et Peter W. Lahr, dont le capot du moteur ressemble à un œuf. On comprend bien que ces lignes fluides et lisses coïncident aussi à l’époque avec l’avènement de matières modernes et de nouvelles techniques, tels l’emboutissage de la tôle ou le moulage des matériaux de synthèse. D’où la présence en force, par exemple, d’objets en Bakélite, tels ce calendrier de bureau de William B. Petzold ou encore l’interphone Amplicall de Joseph Palma Jr., tous deux aux formes élancées.

Profil aérodynamique
Mais l’exposition bute sur plusieurs écueils. On aurait aimé voir quelques objets plus imposants, comme un réfrigérateur ou un photocopieur… Hormis une correspondance de dates de production, la cafetière en étain de Harry Bertoia ou l’appareil d’écoute à distance Radio Nurse d’Isamu Noguchi, dont la forme évoque le masque d’un adepte de kendo ou peut-être un visage de nurse stylisé, ont-ils vraiment quelque accointance avec le courant Streamline ? La question se pose davantage encore pour les pièces récentes, censées illustrer l’ultime volet de l’exposition, « Le Streamline de nos jours ». Si les fondateurs italiens du Bolidisme, tel Massimo Iosa Ghini, se réclament effectivement du Streamline, notamment à travers les travaux de Norman Bel Geddes, il est en revanche plus douteux d’accoler cette étiquette à la dépouillée Chaise de l’homme qui pense de Jasper Morrison ou à l’organique chaise Go de Ross Lovegrove. Plus encore à un casque de cycliste, une paire de baskets ou une combinaison de plongée d’aujourd’hui.
Enfin, on regrette par-dessus tout l’absence de Raymond Loewy. L’auteur, entre autres, de moult modèles d’automobiles Studebaker et de la fameuse locomotive S-1, dessinée en 1937 pour la Pennsylvania Railroad Company, n’est que tristement représenté : un minuscule rasoir Colonel pour la firme Schick, ainsi qu’une pièce créée en trio – une superbe « écrémeuse », exposée à l’entrée du musée… C’est bien peu pour l’instigateur phare du style Streamline. Rappelons qu’en 1949 Loewy fut le premier designer au monde à faire la « une » du magazine Time. Sous son portrait, une légende : « Il donne un profil aérodynamique à la courbe des ventes. »

UN DESIGN AMÉRICAIN, LE STREAMLINE DE 1930 À NOS JOURS

Jusqu’au 24 juillet, Musée des Années 30, 28, av. André-Morizet, 92100 Boulogne-Billancourt, tél. 01 55 18 46 42. Catalogue, éd. Flammarion, 312 p., 75 euros.

Streamline

- Commissaire : Emmanuel Bréon, conservateur en chef du Musée des Années 30 - 60 designers - 180 objets - Budget : 60 000 euros - Exposition conçue à Montréal par David A. Hanks et Martin Eidelberg, responsables du programme Liliane & David Stewart

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°217 du 10 juin 2005, avec le titre suivant : Un design dans le courant

Tous les articles dans Création

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque