Venise

Pinocchio fait son manège

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 24 juin 2005 - 576 mots

Annette Messager a reçu le Lion d’or pour le pavillon français de la Biennale de Venise.

 Venise - Double imprégnation pour le pavillon français, investi pour cette Biennale 2005, cinquante et unième du nom, par Annette Messager, avec la complicité des commissaires Suzanne Pagé et Béatrice Parent. Il y a de l’Italie par la référence au personnage de Pinocchio, figure emblématique de l’enfant-marionnette du conte de Collodi ; il rejoint l’univers construit depuis plus de trente ans par l’artiste, figure en exergue du pavillon des Giardini dont Annette Messager a bravé la symétrie.
La colonnade du bâtiment est presque annulée par de grands rideaux qu’il faut écarter pour pénétrer, latéralement, dans une première salle remplie d’une montagne de traversins habités de créatures de Skaï. D’une grotte, glissant au sol accrochée par une corde, comme au manège, apparaît au monde, allongée dans une pose désinvolte sur un autre traversin, la marionnette. L’univers est campé : le passage du temps sera une dimension essentielle de l’installation, et la durée une condition du regard sur les deux dispositifs qui occupent les salles.
La première voit une vague de soie rouge irrégulièrement soulevée par un souffle profond, inquiétante respiration du monde venue des profondeurs du bâtiment, vague qui révèle par moments des créatures mi-animales mi-machines, et toutes fantasmatiques. Une vingtaine de masques noirs, portraits stylisés de Pinocchio, montent et descendent lentement, au-dessus de ce monde flottant. Dans la salle suivante, une grande nasse en filet noir, parc pour enfant géant, est animée par une mécanique nerveuse en forme d’araignée aux bien nombreuses pattes : un puissant mouvement pneumatique transforme soudain le dispositif en « trempolino » et envoie valdinguer toute une population d’abattis incertains de sac plastique et autres formes de peluches et de toile plus ou moins organiques. Au milieu, inépuisables à donner le nouveau chiffre du destin, deux dés reformulent leur combinaison à chaque explosion pneumatique, remettant en jeu le monde et ses ruines avec la violence du courant d’air. D’une théâtralité maîtrisée et convaincante, les trois temps de l’installation dégagent une atmosphère forte, très reconnaissable de l’art d’Annette Messager, qui signe là une belle confirmation de l’œuvre qu’on lui connaît. Moins intime et personnel que certains travaux passés, Casino – le titre en néon se superpose au mot « France » au frontispice du pavillon national – joue sur un double sens sensible aux italophones : c’est le nom de la maison de jeu, bien sûr, mais aussi – Que casino ! – l’exclamation familière qui dit « Quel bordel ! » C’est bien du bordel existentiel qu’il est question ici, entre jeu, théâtre, drame et conte. Hors temps, la proposition française paraîtra sans doute très littéraire, formellement très achevée, mais sans ambition de démonstration ou de prise de parti sur l’état du monde ni avantageuse revendication de contemporanéité par son vocabulaire. D’ailleurs, la tendance des pavillons n’est pas très exploratoire cette année : le pavillon français s’est imposé au jury à côté des meilleurs de l’année – Muntadas pour l’Espagne, Gilbert & George pour la Grande-Bretagne, Honoré d’O pour la Belgique – et de découvertes : Hans Schabus pour l’Autriche, Guy Ben-Ner pour Israël ou Myznikova et Provorov au pavillon russe.

51e Biennale de Venise

Jusqu’au 6 novembre 2006, www.labiennale.org. Catalogue : 180 p. couleurs, éditions Xavier Barral et Paris-Musées, 39 euros. Annette Messager, Casino, pavillon français (Giardini) - Commissaires : Suzanne Pagé et Béatrice Parent - Budget : AFAA, CNAP et DAP (ministère de la Culture), LVMH

Ils ont dit

« Quand on entre dans la première pièce, le silence de l’émotion s’installe, et l’artiste nous emmène dans un voyage plein de poésie et de rudesse : on s’échappe de soi devant ce personnage auquel Annette Messager donne une vie, alors qu’à la fin du parcours, elle assène un coup de matraque pour dire que cette poésie est un leurre, que ce que l’on imagine être un charme irréel débouche sur le mécanique, le répétitif, l’implacable. Je suis fier que le pavillon français accueille une œuvre de cette qualité, grâce à des soutiens tant publics que privés. » Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la Culture et de la Communication

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°218 du 24 juin 2005, avec le titre suivant : Pinocchio fait son manège

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