Art moderne

Expérience

Vibrations visuelles

Par Anaïd Demir · Le Journal des Arts

Le 24 juin 2005 - 797 mots

STRASBOURG

L’exposition « L’œil moteur » dédiée à l’art optique et cinétique hypnotise les visiteurs au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg.

STRASBOURG - Des hallucinations, des problèmes de vision, de perception… A-t-on la berlue ? « L’œil moteur », l’exposition du Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg, a décidé de taquiner la rétine des visiteurs, stimuler leurs neurotransmetteurs, les faire chavirer dans une faille aussi psychédélique que sensorielle. Nés dans les années 1950, l’art optique et l’art cinétique sollicitent avec persistance le nerf optique. Qu’il s’agisse d’un mouvement réel ou virtuel, le spectateur est physiquement impliqué dans ces œuvres qui se jouent des trames, des profondeurs, des jeux graphiques et géométriques, mais aussi de la lumière et des combinaisons du cercle chromatique.
C’est donc la rétine vibrionnante et sans peur de tituber que l’on se perd dans les différentes salles de « L’œil moteur », selon l’expression de l’une des figures de ce courant, Jesus Rafaël Soto.
Le visiteur retrouve d’ailleurs l’artiste dans ces premières salles dédiées aux vibrations linéaires et moirées, exclusivement en noir et blanc. Carlos Cruz-Diez, Varisco, Ludwig Wilding, Joël Stein mettent l’œil en panique. Des cibles signées Vasarely ou Yvaral, des spirales de Bridget Riley, mais aussi une installation, des imbrications cubiques, des chevrons, des damiers, des cercles concentriques… Dans une économie chromatique et formelle, on est plongé dans un monde mouvant qui se limite d’abord à la peinture, puis passe peu à peu aux dispositifs lumineux. Les pulsations de certaines œuvres, comme celles de Julio Le Parc ou Karl Gerstner, viennent alors accentuer le vertige. Avant de nous entraîner dans des salles de plus en plus luminescentes et colorées. Le visiteur est d’abord physiquement engagé dans l’œuvre, avec « L’œil corps », selon l’expression cette fois de la Brésilienne Lygia Clark, dont certaines de ses sculptures sont présentées aux côtés de celles d’Yaacov Agam ou Carmelo Arden Quin. Le mouvement, alors, devient réel. Julio Le Parc propose de chausser des « lunettes pour une vision autre » ou de modifier son reflet dans le miroir. Les photographies de Pol Bury procèdent à des distorsions architecturales, alors que Gianni Colombo nous entraîne dans un environnement mécanique fascinant dans lequel des fils modifient l’espace cubique dans lequel on se trouve en continu. L’art optique et cinétique présageait bien entendu des découvertes dans le domaine des nouvelles technologies et notamment de l’ordinateur…  « L’œil computer »  aborde donc le pixel et la notion de programme sous toutes ses formes, avec Vera Molnar ou François Morellet, puis la cybernétique s’impose avec les dispositifs de Nicolas Schöffer (lire l’encadré). L’œuvre qui fut le cadre d’une représentation chorégraphique de Maurice Béjart sur le toit de la Cité Radieuse à Marseille (1956) est également présentée dans l’exposition. Enfin, la dernière partie, « L’œil sonore », ajoute une note sensuelle supplémentaire à cette odyssée visuelle et fait un pas en direction du fantasme de l’art total. Frank Malina, Bernard et François Baschet, mais aussi Takis ou Gregorio Vardanega nous laissent frôler la confusion totale des sens, soit la « synesthésie », avec leurs sons extraterrestres générés par la machine. Un cerveau électronique, c’est-à-dire un « cyborg »? Mais le visiteur doit-il se contenter de ne toucher qu’avec les yeux ? Pour ceux qui en seraient persuadés, un passage dans le labyrinthe de GRAV (collectif formé de Le Parc, Morellet, Yavaral et Garcia-Rossi) s’impose.
Ce parcours historique complet permet de se rendre compte que ce mouvement a essentiellement eu pour ancrage l’Europe et l’Amérique latine. Son incroyable vitalité à la lueur des années 2000 est encore à souligner. Si son âge d’or se situe entre 1950 et 1975, le Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg a néanmoins tenu à « encadrer » l’exposition historique en présentant au cœur des collections, d’un côté les racines de ce mouvement, avec Josef Albers, Alexander Calder ou Marcel Duchamp et ses « roto-reliefs »…, et de l’autre son influence sur l’art actuel, avec John Tremblay, Xavier Veilhan, Hugues Reip, Philippe Decrauzat ou Mathieu Mercier…
Que de troubles de la vision pour cet art qui est avant tout une utopie sociale ! Un art ludique, hypnotique et euphorique. Une dynamique capable de persister autant dans la rétine que dans les mémoires.

L’ŒIL MOTEUR, ART OPTIQUE ET CINÉTIQUE, 1950-1975

Jusqu’au 25 septembre, Musée d’art moderne et contemporain, 1, place Hans-Jean-Arp, 67000 Strasbourg, tél. 03 88 23 31 31, tlj sauf lundi, 11h-19h, 12h-22h le jeudi, 10h-18h le dimanche. L’ŒIL MOTEUR - Commissaires : Emmanuel Guigon et Arnauld Pierre - Scénographe : Antoine Dervaux - Nombre d’artistes : 68 - Nombre de salles : 10 Nicolas Schöffer - Commissaires : Serge Lemoine, Maude Ligier - Conseillère scientifique : Éléonore Schöffer - Scénographie : Nathalie Crinière - Nombre d’œuvres : 40 - Mécène : Fondation EDF

Cyber réflexion

La vie sans art nuit gravement à votre santé et à celle de notre entourage ? La cybernétique introduite au champ de l’art a tout simplement des effets relaxants sur l’organisme. L’exposition consacrée à Nicolas Schöffer à l’Espace EDF-Electra, à Paris, en est une preuve. La sculpture s’y présente sous son jour le plus sensible, photoélectrique, aérodynamique, « spatio-lumineux » et interactif… C’est dans une semi-pénombre traversée par des rayons lumineux, des reflets colorés et de doux bourdonnements mécaniques que l’on visite la fascinante exposition « Ballets de lumières » de ce pionnier de l’art cybernétique. Cet artiste hongrois, né en 1912, abandonne la peinture de chevalet après sa découverte d’un ouvrage de Norbert Wiener Cybernetic and Society (1950). La cybernétique est une science qui mêle le vivant aux circuits informatiques. Quand cette notion infiltre le musée par le biais de Schöffer, espace, temps et lumière se combinent soudain. L’immatériel devient brusquement matière. En pivotant sur elles-mêmes, ses sculptures jouent de leur pouvoir réfléchissant et des multiples sources de lumière multicolores qui s’y projettent. Ombres, reflets, distorsions, plongeons prismatiques, variations kaléidoscopiques…, ces œuvres interactives aux effets optiques divers baignent le visiteur dans des partitions visuelles chaque fois inédites. Artiste de génie décédé en 1992, Schöffer était aussi architecte et urbaniste. L’exposition aborde ses réflexions sur la ville, ses projets architecturaux ou encore son travail sonore en 1955 avec le pionnier de la musique électronique Pierre Henry et le chorégraphe Maurice Béjart. Quant au Lumino (1968), objet design hors du temps, son écran hypnotique conçu avec les instances médicales devait grâce à des variations colorées favoriser la détente. Fascinant. Nicolas Schöffer, « Ballets de lumières », Espace EDF-Electra, 6, rue Récamier, 75007 Paris, tél. 01 53 63 23 45. Jusqu’au 11 septembre. Et aussi : Galerie Denise René, 196, boulevard Saint-Germain, 75007 Paris, tél. 01 42 22 77 57. Jusqu’au 16 juillet.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°218 du 24 juin 2005, avec le titre suivant : Vibrations visuelles

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