Photographie

Le Brésil, un pays développé

Le Journal des Arts

Le 8 juillet 2005 - 754 mots

Une exposition au Musée d’Orsay dévoile des clichés du XIXe siècle.

 PARIS - On ignore généralement que le Brésil fut au XIXe siècle, à l’égard de la photographie, un pays « développé ». Dans l’orbe d’un pouvoir impérial relativement éclairé, indépendant du Portugal fondateur et qui fait la promotion de la culture européenne, la photographie se développe comme un moyen de connaissance intérieure, et d’ouverture extérieure. L’empereur Dom Pedro II (abdiquant en 1889), artisan de la modernisation, s’y intéresse, encourage l’installation de photographes et constitue une collection, léguée à la Bibliothèque nationale du Brésil. On retrouve aujourd’hui les épreuves (avec celles acquises par l’Institut Moreira Salles) sur les murs du Musée d’Orsay, qui accueille cette manifestation à la faveur de l’Année du Brésil.
La majeure partie des photographes ayant œuvré dans ce pays sont pourtant d’origine étrangère, à commencer par l’« inventeur » Hercule Florence, français, supposé avoir mis au point un procédé « photographique » en 1833 (il s’agit en fait de reproduction de dessins, mais ce n’est pas le lieu d’en discuter la pertinence). C’est un autre Français, Victor Frond, proscrit par Napoléon III en même temps que Victor Hugo, qui importe au Brésil en 1854 une pratique du négatif-verre, de grande maîtrise, et également pédagogue. En 1861, il publie avec son complice proscrit Charles Ribeyrolles, Brésil pittoresque, album de lithographies imprimées à Paris, toutes dessinées d’après ses photographies, dont malheureusement très peu de tirages subsistent à ce jour. Il fonde ainsi un type d’approche qui se retrouve par la suite, mêlant le paysage de sites grandioses et luxuriants inconnus des Européens et les travaux des esclaves dans les fazendas de sucre et de café, ce avec un parti pris social affirmé. L’Alsacien Auguste Stahl assure la relève d’abord à Recife puis à Rio, avec une qualité égale à ses compatriotes français. Arrivant déjà formé à la pratique du collodion, comme Frond, il documente la ville de Recife, et la ligne de chemin de fer Recife-Escada, dans la même veine que les Européens commandités pour les Ponts et Chaussées et travaux publics. Remarqué par Dom Pedro, il gagne Rio en 1861, où il crée tout naturellement les standards de représentation du Pain de sucre, du Corcovado, de la baie de Botafogo et du Jardin botanique. Vivant aisément des travaux de son studio de portraits, Stahl ajoute à ses cordes un intérêt pour les populations d’esclaves, et photographie à la demande de l’ethnologue helveto-américain Louis Agassiz des esclaves, en buste ou nus et en pied, qui serviront à l’illustration d’un livre d’Agassiz. Stahl, malade, quittera le Brésil en laissant semble-t-il son fonds à un autre jeune Français né au Brésil, Marc Ferrez. Ce dernier mène à son apogée, entre 1880 et 1900, le paysagisme grandiose qui veut faire l’attrait du pays pour les voyageurs et les investisseurs. Il ne néglige pas non plus les travaux d’aménagement, la vitalité urbaine de Rio, les petits métiers et les populations indiennes, délaissant toutefois la rigueur pour le pittoresque. Son petit-fils Gilberto Ferrez, passionné de photo, initiera les travaux d’historiens grâce auxquels se redessine depuis une vingtaine d’années cette iconographie oubliée et négligée.
Par un mouvement pendulaire inverse, on investit aujourd’hui exagérément les photographes d’un statut d’artiste, on privilégie la catégorisation esthétique, y compris dans cette exposition qui fait la part belle au paysage au détriment de l’ethno-sociologie. Pourtant, avec le Berlinois Klumb, les Suisses Leuzinger et Gaensly, l’Anglais Ben Mulock à Bahia, le Carioca Militão de Azevedo fixé à São Paulo, les Allemands Henschel, Frisch, Dietze ou Riedel et l’Espagnol Guttierrez, on est confronté d’évidence à un éclectisme culturel d’émigrants dont les interrogations se soucient tout autant des populations d’esclaves, d’indigènes et d’exploités des mines, et convergent vers des réalités sociales. De cela, l’ouvrage publié chez Gallimard rend bien compte, avec force illustrations, à la différence du catalogue publié par le Musée d’Orsay, limité au contenu de l’exposition et peu généreux en informations malgré son titre ambitieux. La photographie, même ancienne, est encore pleine de ses enjeux sociopolitiques.

L’Empire brésilien et ses photographes. Collections de la Bibliothèque nationale du Brésil et de l’Institut Moreira Salles

Jusqu’au 4 septembre, Musée d’Orsay, 1, rue de la Légion-d’Honneur, 75007 Paris, tél. 01 40 49 48 14, www.musee-orsay.fr, tlj sauf lundi 9h-18h, jusqu’à 21h45 le jeudi. Cat. Musée d’Orsay/5 Continents Éditions, 2005, 144 p., 100 ill., 22 euros, ISBN 2-905724-28-5. À lire aussi : Bia Corrêa do Lago et Pedro Corrêa do Lago, Brésil. Les premiers photographes d’un empire sous les Tropiques, Gallimard, 2005, 240 p., 300 ill., 49,50 euros, ISBN 2-07-030733-6.

Empire brésilien

- Commissaires : Françoise Heilbrun, assistée de Lise Pannier, Pedro Corrêa do Lago (Bibliothèque nationale du Brésil), et Vik Muniz, artiste - Nombre d’artistes : 23 - Nombre d’œuvres : 102 - Surface : 177 m2

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°219 du 8 juillet 2005, avec le titre suivant : Le Brésil, un pays développé

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