États-Unis - Art contemporain

Land art

Au secours de la Spirale de Smithson

Par Jason Edward Kaufman · Le Journal des Arts

Le 8 juillet 2005 - 1104 mots

Alors que l’artiste bénéficie d’une rétrospective au Whitney Museum, à New York, le devenir de son œuvre emblématique n’est pas assuré.

SALT LAKE CITY - Depuis sa création en 1970, Spiral Jetty (jetée en spirale), de Robert Smithson, est devenue une pièce légendaire du land art. Nulle autre œuvre incarne mieux ce mouvement né dans les milieux contestataires des années 1960 pour tenter d’échapper à l’univers des galeries et du commerce de l’art, en se livrant à des sculptures réalisées directement dans le paysage.

Si elle est l’une des œuvres les plus célèbres du land art, Spiral Jetty est aussi l’une des moins visitées, notamment parce qu’elle est située au bord d’une rive peu accessible du Grand Lac Salé, dans le désert de l’Utah, à deux heures et demie de voiture de Salt Lake City. Mais aussi parce qu’elle est devenue quasiment invisible. Au cours des années 1980, pluie et neige ont recouvert l’œuvre de quelque 6 m d’eau, de sorte qu’elle était visible seulement par avion. De temps à autre, le niveau de l’eau s’abaissait au point de laisser pointer la sculpture juste sous la surface. Mais seule la sécheresse de la dernière décennie lui a permis d’émerger des eaux du lac – précisément au moment où une rétrospective itinérante de Smithson parcourt les États-Unis.

Conçue par Eugenie Tsai, du Musée d’art contemporain (MOCA) de Los Angeles, cette rétrospective des sculptures, photographies, dessins, peintures, tableaux et films de Smithson, après avoir été présentée au Musée de Dallas, est actuellement accueillie, et jusqu’au 23 octobre, au Whitney Museum à New York. L’exposition réunit des esquisses et des photos de Spiral Jetty, ainsi qu’un film sur sa réalisation montrant des camions géants déchargeant des tonnes de terre et de blocs de basalte noir dans le lac. Le terrain avait été loué auprès de l’État, la galeriste Virginia Dwan apportant une souscription de 9 000 dollars au projet, tandis que le marchand d’art Douglas Chrismas finançait la réalisation du film. Smithson s’était adressé à un entrepreneur local qui avait réalisé des levées de terre et des bassins d’évaporation pour récolter le sel des eaux du lac. Avec sa femme, l’artiste Nancy Holt, et son ami le sculpteur Richard Serra, Smithson a utilisé cordeau et piquets pour tracer la spirale, une forme en relation avec le symbolisme des Indiens d’Amérique et peut-être aussi avec les conceptions cosmologiques d’évolution et d’éternité.

À la merci de mère Nature
Aujourd’hui, les visiteurs accèdent à Spiral Jetty à partir d’une route poussiéreuse légèrement en surplomb, d’où ils descendent par un chemin. La spirale s’étend sur 10 m de large et un kilomètre de long, dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, au milieu des eaux rougies par les algues. En dépit du caractère monumental qu’on est enclin à attribuer aux œuvres de land art, celle-ci paraît presque minuscule dans l’immensité des paysages de l’Utah. Les rochers se sont couverts d’une belle croûte de sel. « La première année, elle a été submergée quelques jours et elle est ressortie couverte de cristaux de sel », indique Nancy Holt, dont la création personnelle de land art, Sun Tunnels, est située sur la rive opposée du lac, dans le comté de Box Elder. « Bob était ravi de ces cristaux de sel qui sont apparus sur les bords de la jetée dès le premier jour. » Robert Smithson devait mourir tragiquement à 35 ans dans un accident d’avion lors d’un vol de reconnaissance pour un site de land art dans le Texas, trois ans après avoir achevé la Spiral Jetty.

Les héritiers de Smithson ont fait don de l’œuvre à la Dia Art Foundation, à New York. « Il n’y a pas d’entretien du fait de sa présence qui s’intègre dans le paysage, et nous n’avons aucun projet pour la conservation de cette œuvre », nous a déclaré un représentant de la Dia. Mais avec le retour des pluies, l’élévation du niveau des eaux menace d’engloutir à nouveau la jetée, et pose la question de la nécessité ou non de la renforcer. « Bob a parfois évoqué l’ajout de rochers supplémentaires, ouvrant l’avenir à cette éventualité », indique Nancy Holt. « Il souhaitait que l’œuvre soit assez robuste et visible pour survivre à de nombreux bouleversements naturels. […] C’est aux héritiers et à la Dia d’en décider », pousuit-elle, notant que la Dia a commandé des inspections du site pour déterminer la conduite à tenir.

L’œuvre est libre d’accès, mais il faut aller la chercher au bout de 25 kilomètres de mauvaises routes à travers des collines couvertes d’armoise, où l’on ne rencontre que du bétail et des pélicans. La Dia n’enregistre pas le nombre des visites, mais l’office du tourisme de l’Utah fait état d’une moyenne annuelle de 46 000 visiteurs au Golden Spike National Park tout proche, qui abrite le lieu où les voies ferrées venues de l’Atlantique et du Pacifique se sont rejointes pour la première fois, en 1863.

Île flottante
La Dia vient également de publier Robert Smithson : the « Spiral Jetty », avec des articles de Lynne Cook, curateur à la Dia, de l’historienne de l’art Anne Reynolds, et de George Baker sur le film de Smithson. L’ouvrage comprend aussi une contribution de Lytle Shaw sur les écrits de Smithson, et deux entretiens, l’un avec Bob Philips, l’entrepreneur qui a bâti la jetée, l’autre, datant de 1971, entre l’artiste et Kenneth Baker. Une exposition permanente consacrée à la Spiral Jetty est en préparation à l’Utah Museum of Art and History de Salt Lake City. Enfin, le Whitney Museum, en collaboration avec Minetta Brooke, a réuni les 80 000 dollars nécessaires pour réaliser un projet de l’artiste resté inédit depuis 1970, consistant en une île flottant sur les eaux de l’Hudson. « Tout comme le projet des Portes de Christo et de Jeanne-Claude [auquel il aura fallu près de trois décennies pour prendre corps], l’île flottante est conçue pour faire sortir l’art des musées et l’installer dans l’espace public », nous a déclaré un représentant du Whitney Museum. L’idée est de construire un paysage complet, avec des arbres et des buissons, sur une barge qui sera remorquée tout autour de Manhattan. Selon la commissaire Chrissie Iles, Smithson incorporait dans son œuvre la notion de déplacement, en reproduisant une portion de Central Park pour le faire flotter sur l’Hudson. Floating Island circulera sur le fleuve au cours de deux week-ends, les 17-18 et 24-25 septembre prochains.

ROBERT SMITHSON

Jusqu’au 23 octobre, Whitney Museum of American Art, 945 Madison Avenue sur la 75e Rue, New York, tél. 1 212 570 7793, tlj sauf lundi et mardi 11h-18h, 13h-21h le vendredi.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°219 du 8 juillet 2005, avec le titre suivant : Au secours de la Spirale de Smithson

Tous les articles dans Patrimoine

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque