Avignon

Tribute to Yvon

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 9 septembre 2005 - 715 mots

La Collection Lambert met à l’honneur une belle partie de son fonds.

 AVIGNON (VAUCLUSE) - Attention, chefs-d’œuvre ! Les peintures de cet acabit de Richard Serra sont rares : un immense diptyque à l’huile et au goudron, dont les toiles sont directement agrafées au mur (Sans titre, 1985). La profondeur, la rigueur et l’âcreté en sont inouïes. Dans un tout autre registre, l’installation Silent Movie de Jonathan Horowitz (2003), dans laquelle un piano mécanique joue la bande-son d’un montage d’images muettes, captive littéralement.
Ce sont là quelques-unes des belles surprises de cet accrochage quasi impromptu qui vient célébrer les cinq ans d’existence de la Collection Lambert, après la piteuse annulation, cinq semaines avant son ouverture prévue, de l’exposition d’Anselm Kiefer. Cinq semaines pour se retourner, c’est peu, mais il faut dire que le fonds mis en dépôt à Avignon est plus qu’à la hauteur, avec les quelque 1 200 œuvres qu’il contient. Le cheminement n’est pas de tout repos, il est même heurté et saccadé.
Si son commissaire, Éric Mézil, l’a pensé comme un voyage possible (les bâtons d’André Cadere – Barre de bois rond formée de segments de bois peints, 1977 – répartis sur le parcours feraient d’ailleurs bien office de bâtons de pèlerin), c’est à un voyage haut en couleur, oscillant sans cesse entre rigueur presque méditative et virulence visuelle, qu’il nous invite. Dans cette veine du contraste violent, l’exposition touche juste avec une salle consacrée aux Klansman (les membres du Ku Klux Klan, 1990) d’Andres Serrano, dont la violence froide et maîtrisée perturbe grandement à la sortie de la « salle blanche », principalement occupée par des œuvres minimales : une dizaine de somptueux Ryman et deux Mangold, entre autres, auxquels un miroir peint de Bertrand Lavier effectue un joli clin d’œil (Delfino, 1988).

Palissade de Basquiat
La coexistence rapprochée, par endroits, d’artistes de différentes générations offre d’ailleurs quelques audaces intrigantes et/ou savoureuses. Il fallait oser, dans la progression quasi spirituelle que la prépondérance d’œuvres minimales et conceptuelles imprime à l’ensemble, le rapprochement réussi entre les drapeaux arc-en-ciel à paillettes du même Horowitz (Three Rainbow Flags for Jasper Johns in the Style of the Artist’s Boyfriend for Yvon, 2004) et un somptueux polyptique sur papier de Cy Twombly (PAN, 1980). Et si le jeune Adam Pendleton fait, avec ses mots sur toiles aux couleurs pourtant acidulées (Remember, Hold Me, 2004), très pâle figure face à une belle palissade de Jean-Michel Basquiat (She Installs Confidence and Picks up his Brain Like a Saladin, 1988), un triptyque de Brice Marden, dans des tons vert-de-gris, acquiert une présence étonnante face à des clichés de Nan Goldin.
On regrettera d’ailleurs l’omniprésence de cette dernière. Une cinquantaine de pièces, c’est beaucoup et presque épuisant, d’autant qu’on les a souvent vues et revues. Son diaporama All by myself. Beautiful at fourty (1953-1995), l’une de ses meilleures œuvres, se serait presque suffi à lui-même.

Dédicaces
Who do you think you are ? interroge, toujours sans détours, une œuvre de Barbara Kruger (1998). Cette question, on aimerait justement la poser à Yvon Lambert, que l’on sent présent presque derrière chaque pièce de cet accrochage qu’il n’a pourtant pas conçu. Les artistes montrés depuis l’ouverture de sa galerie sont bien sûr exposés : on retrouve, pour les périodes désormais historiques, des ensembles cohérents, comme une partie des combles consacrée à la nature et au territoire, avec des œuvres de Penone, Richard Long, Hamish Fulton ou Gordon Matta-Clark. Mais, par intermittence, affleurent des éléments plus intimes. Parfois des dédicaces, comme ce touchant « À Y L cher petit frère », manuscrit par Marcel Broodthaers sur sa Chère Petite Sœur de 1972. Ou des œuvres très inattendues, comme des études de Fernand Léger (Profil au melon, 1938) ou Paul Cézanne (Dans une forêt, 1880-1883), des sérigraphies sur papier d’Electric Chair de Warhol (1971) – que l’artiste lui a dédicacées bien qu’ils n’aient jamais travaillé ensemble – ou encore des ouvrages illustrés par Matisse (Florilège des amours de Ronsard, Poésies de Mallarmé). Autant d’éléments qui, au-delà de la mise en avant du travail de galeriste, soulignent et rendent hommage à une insatiable passion accumulatrice.

« 5 ANS », LES ŒUVRES DE LA COLLECTION LAMBERT EN AVIGNON

Jusqu’au 23 octobre, hôtel de Caumont, 5, rue Violette, 84000 Avignon, tél. 04 90 16 56 20, tlj sauf le lundi, 11h-19h

« 5 ANS », LES ŒUVRES DE LA COLLECTION LAMBERT EN AVIGNON

- Commissaire : Éric Mézil - 55 artistes - 350 œuvres - Superficie : 1 800 m2

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°220 du 9 septembre 2005, avec le titre suivant : Tribute to Yvon

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