le choix du conservateur

Frédéric Paul, directeur du centre d’art contemporain du Domaine de Kerguéhennec (Morbihan)

« Une subversion réjouissante dans le registre conceptuel »

Le Journal des Arts

Le 9 septembre 2005 - 617 mots

Frédéric Paul, directeur du centre d’art contemporain du Domaine de Kerguéhennec (Morbihan) présente la Façade Of Amiens Cathedral (1973) de William Wegman.

Un centre d’art contemporain a pour vocation à produire des œuvres et à les montrer, c’est-à-dire à en stimuler l’apparition, pour les artistes comme pour le public. Il est donc collectionneur d’expositions, sinon propriétaire des œuvres dont il s’entoure. Collection sans inventaire, le centre d’art de Kerguéhennec, à vingt minutes au nord de Vannes, dans le Morbihan, est pourtant né d’un parc de sculptures en 1986. Et, sur 175 ha, il administre le dépôt d’œuvres exceptionnelles, la plupart conçues pour le site et commandées, jusqu’à 1993, par le FRAC Bretagne ou l’État à Élisabeth Ballet, François Bouillon, Ian Hamilton Finlay, Toni Grand, Richard Long, François Morellet, Maria Nordman, Giuseppe Penone, Markus Raetz, Jean-Pierre Raynaud, Ulrich Rückriem…

Le programme reprend en 2003 avec Richard Artschwager. Des études de Hreinn Fridfinnsson et Hubert Duprat sont en cours. Ernesto Neto réfléchit à son premier projet en extérieur. Le Domaine de Kerguéhennec connaît donc les joies et servitudes de la collection depuis bientôt vingt ans, mais une réforme de ses statuts ne l’autorise à accepter des dons et à collecter des fonds en vue d’acquisitions que depuis mai 2003. À ce jour, pas encore d’achat, mais des dons, dus aux artistes, à Christine Burgin, Ghislaine Hussenot et Didier Larnac, sont le reflet des expositions. Une importante sculpture d’Artschwager de 1963, une de Richard Monnier, un grand collage de Beatriz Milhazes, réalisé en résidence, dix affiches uniques de Harrell Fletcher, et deux œuvres de William Wegman qui étaient présentées serrées lors de son exposition de 2004 : un dessin de 1973 et une photo de 1992. J’ai manipulé plusieurs centaines d’œuvres dans les boîtes que me présente Wegman depuis quinze ans. En découvrant récemment cette photo, je me suis aussitôt souvenu du dessin, de vingt ans plus ancien. Début 1990, à côté des icônes canines qui l’ont rendu célèbre, Wegman se met à récupérer cartes postales et photos anonymes. À ces éléments, qui n’ont de valeur qu’anecdotique, il inflige un traitement proche de celui réservé en 1975-1976 à ses propres photos ratées, qu’il transfigurait en les tailladant et en les griffonnant.

Aujourd’hui, l’artiste imagine un environnement grossièrement vraisemblable autour de ces images récupérées. Et l’affaire se corse quand il associe un paysage enneigé à une plage hawaïenne, ou une vue de la chapelle de Le Corbusier à Ronchamp (Haute-Saône) à une construction vernaculaire du Nouveau-Mexique ! La photo de 1992 représente un arbre majestueux. L’artiste a coupé l’image en deux et écarté les morceaux, qu’il a reliés en prolongeant les branches à la gouache, d’où son titre, New Growth (Nouvelle Pousse), qui vaut pour toutes ces manipulations. Les « altered photographs » de 1975-1976 devaient être détériorées pour être transformées. C’est plutôt à un principe d’étirement que s’adonne Wegman aujourd’hui. Le dessin offert à Kerguéhennec, Façade of Amiens Cathedral, est sommaire mais exemplaire. Commencé sur une feuille de papier machine, il se poursuit sur une autre. Or, si le dessinateur paraît désinvolte, cette fragmentation nous renvoie à notre perception de la réalité, car il est rare de voir d’un seul coup d’œil l’empilement interminable d’une cathédrale gothique…

Les dessins que réalise Wegman au tournant des années 1960-1970 sont d’une concision extrême, ce sont des exercices de logique qui prennent parfois l’apparence de schémas mathématiques. Comme ses photos et ses vidéos de la même époque, ils introduisent une subversion réjouissante dans le registre conceptuel, et l’acuité de l’artiste s’y révèle exceptionnelle. La cathédrale d’Amiens est après tout une sculpture à vivre. On ne m’en a pas proposé le dépôt à Kerguéhennec. Mais le monument qu’a laissé Wegman suffit à mon bonheur.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°220 du 9 septembre 2005, avec le titre suivant : Frédéric Paul, directeur du centre d’art contemporain du Domaine de Kerguéhennec (Morbihan)

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