Patrimoine

Le grand chantier des monuments historiques

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 23 septembre 2005 - 897 mots

Une série de mesures en faveur du patrimoine viennent d’être annoncées
par le ministre de la Culture et de la Communication, sans calmer les inquiétudes des professionnels.

 PARIS - Depuis la création des Journées du patrimoine, septembre est traditionnellement le mois des monuments historiques. Cette année, alors que le secteur traverse une crise sans précédent (on ne compte plus les fermetures ou reports de chantiers), le ministère de la Culture et de la Communication a souhaité faire taire la grogne en lançant une batterie de mesures. Car Renaud Donnedieu de Vabres le répète infatigablement depuis son arrivée Rue de Valois : il sera le « ministre du patrimoine ». Le 6 septembre, il a annoncé au cours d’une conférence de presse le déblocage d’une rallonge de 100 millions d’euros sur le budget 2006, affirmant qu’il maintiendrait « ces efforts inlassablement tant que la situation ne sera pas rétablie à un niveau satisfaisant ». Cet argent proviendra des ressources des privatisations, à la demande expresse du Premier ministre. La nouvelle a toutefois fait sourire les représentants du Groupement français des entreprises de restauration des monuments historiques (GMH), mobilisé depuis plus d’un an pour la défense d’un secteur touché de plein fouet par les fermetures de chantier. « Ce n’est pas la première fois que le ministre nous fait de belles promesses non tenues. Nous attendons d’avoir réellement l’argent. Il est ainsi arrivé que ces crédits soient gelés en avril, parfois redébloqués en septembre, mais dans ce cas le dégel est bien trop tardif pour le démarrage des chantiers… », confie un membre du GMH. « Cela fait deux ans que le ministère s’auto-applaudit sur ce sujet, alors que ce n’est que du battage médiatique », renchérit un architecte du patrimoine.

« Prérogatives régaliennes »
Au cours de cette même conférence de presse, le ministre a appelé de ses vœux une mobilisation générale de tous les acteurs du patrimoine, collectivités publiques et propriétaires privés compris, s’engageant en contrepartie à clarifier les dispositifs réglementaires afin de « donner un nouveau souffle à la politique patrimoniale ». Cet engagement s’inscrit toutefois dans la poursuite de l’important travail de codification du droit du patrimoine entrepris depuis 2003, et des mesures de décentralisation, confirmées par décret au mois de juillet. Il s’agit ainsi de toiletter la loi de 1913 qui régit la protection des monuments historiques, en la débarrassant des nombreuses scories qui ont, depuis, compliqué son application. Deux ordonnances viennent toutefois introduire quelques nouveautés. La première, en date du 28 juillet 2005, vise à assouplir le régime des secteurs sauvegardés, dont les procédures seront allégées et déconcentrées. La seconde, datée du 9 septembre 2005, est relative aux monuments historiques et aux espaces protégés. Elle prévoit notamment de rendre au propriétaire d’un monument historique la maîtrise d’ouvrage des travaux (auparavant assumée par l’État), mais elle lui laisse la faculté de choisir son architecte en chef des Monuments historiques. Y sont également prévus la mise en place d’un guichet unique pour l’obtention des autorisations de travaux (ce qui évitera la superposition des avis), une revalorisation de la mesure d’inscription (qui pourra également concerner les objets appartenant à des privés) ; une extension de la possibilité de modulation du périmètre des abords (les fameux 500 m circonscrivant un monument historique), ainsi qu’une possibilité de protection des jardins au titre de ces mêmes abords. Plusieurs décrets d’application, attendus pour la fin de l’année, en préciseront les règles, l’achèvement de ce processus devant intervenir en 2007 avec la publication du Code du patrimoine. Le 13 septembre, alors que le ministre expliquait sa politique en Conseil des ministres, des juristes réunis au Sénat pour les 8e Journées juridiques du patrimoine commentaient ces décisions : « Si l’État met en place un corpus juridique modernisé, il conserve aussi d’importantes prérogatives régaliennes, tout en transférant de nombreuses charges. »

Culture ou Équipement ? La tutelle des ABF en question

Passée jusque-là inaperçue, une circulaire du Premier ministre du 28 juillet 2005 pourrait ouvrir une brèche dans les attributions du ministère de la Culture. Afin d’optimiser l’organisation des services de l’État au niveau des départements, le texte envisage en effet de faire fusionner les services départementaux de l’Architecture et du Patrimoine (SDAP, jusque-là sous tutelle de la Culture) et les directions départementales de l’équipement (DDE), au sein d’un grand pôle « Équipement ». Dans cette éventualité, les architectes des Bâtiments de France (ABF), qui travaillent au sein des SDAP, passeraient donc sous tutelle du ministère de l’Équipement. Or le 3 août, soit le lendemain de la publication au Journal officiel de ce premier texte, le ministre de la Culture signait une circulaire en parfaite contradiction avec ce vœu de Matignon. Annonçant les grandes lignes d’un futur décret réformant ses services déconcentrés, celle-ci prévoit en effet de renforcer le pouvoir des SDAP, destinés à devenir des guichets de proximité du ministère dans le domaine de l’architecture et du patrimoine bâti ! Le ministère de la Culture n’a en effet aucun intérêt à voir sortir de son périmètre ses SDAP et ses ABF, ce qui serait synonyme d’une perte de compétences dans le domaine du patrimoine. Or cette hypothèse a de quoi inquiéter lorsque l’on sait que de nombreux architectes réclament depuis longtemps leur retour vers l’Équipement, dont ils dépendaient jusqu’en 1995. En perdant l’architecture et le patrimoine, la Culture verrait donc inévitablement son budget s’amoindrir. Loin, toujours plus loin du mythique 1 % !

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°221 du 23 septembre 2005, avec le titre suivant : Le grand chantier des monuments historiques

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