Analyse

Images de marque

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 7 octobre 2005 - 537 mots

Certaines galeries, comme Gagosian ou Hauser & Wirth, sont devenues de véritables marques. Leur fonctionnement flirte avec celui d’enseignes de luxe.

À l’heure où le marketing prend ses aises dans le monde de l’art, quoi de plus naturel que certaines galeries d’art contemporain se soient mues en marques ? Par une cruelle métonymie, une enseigne devient « marque », lorsque le fait de s’y pourvoir prime sur l’œuvre qu’on y achète. Ironiquement, la même œuvre jouit une valeur ajoutée supérieure – et d’un prix non moins plus élevé – si elle est proposée par une « galerie-marque » plutôt que par une autre. La galerie Gagosian (New York, Beverly Hills, Londres) peut ainsi exiger les tarifs les plus fous. Ainsi n’hésitait-elle pas à demander 10 millions de dollars pour un Francis Bacon surréaliste atypique en juin sur la foire Art Basel ! Acheter chez Hauser & Wirth (Zurich, Londres) est devenu synonyme de luxe, d’entrée dans la cour des grands, et certains amateurs français l’ont bien compris. Le pouvoir de la galerie passe d’ailleurs par une mainmise sur des collectionneurs qui, comme l’Allemand Christian Flick, leur donnent une quasi-exclusivité.
Comme toute multinationale, soit une galerie se développe, soit elle disparaît. D’où la politique d’essaimage de certaines enseignes. Ramifiée en cinq espaces, la galerie Gagosian joue la carte de la chaîne. Il en va de même pour Hauser& Wirth, qui possède deux espaces à Zurich et à Londres. Est-ce bien utile de fleurir dans différents pays quand les collectionneurs tendent plutôt à visiter les foires que les galeries ? Sans doute, car il est plus réconfortant pour un client de voir qu’une galerie est établie dans plusieurs villes, gage de pouvoir financier. Montrer sa force de frappe, c’est aussi une façon de rallier les artistes importants. La galerie Hauser & Wirth s’est créé un label ultra-professionnel en produisant des pièces chères et volumineuses, une facilité séduisante mais dangereuse pour ses créateurs. En intégrant une enseigne puissante, ces derniers risquent aussi d’être soumis à la surproduction. Du coup, la marque Gagosian peut également être perçue comme celle de l’essoreur de talent.

Disparition du créateur
Être une marque, c’est aussi défendre bec et ongles un genre artistique, quelles que soient les orientations du marché. C’est le cas de la parisienne Denise René, prêtresse de l’art cinétique qui ne dévie pas d’un iota de sa ligne depuis des décennies. C’est aussi celui de la londonienne White Cube, héraut des Young British Artists. Mais il est essentiel pour une marque de gérer sa réputation sur le long terme. La galerie parisienne Emmanuel Perrotin est en passe de devenir une marque, basée sur le flair et la productivité. Mais elle doit pour cela enrichir sa liste d’artistes. Comme les marques déclinées en une multitude de produits régulièrement renouvelés, une « galerie-marque » ne peut éternellement miser sur les mêmes chevaux. Surtout si ces derniers vacillent sur le marché.
Si le fonctionnement de certaines galeries flirte avec celui d’enseignes de luxe, reste toutefois une grande différence : une galerie est inextricablement liée à son fondateur. Dior a survécu à la mort du couturier, mais rares sont les galeries à avoir su résister à la disparition de leur créateur. Derrière la marque, l’homme prime encore.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°222 du 7 octobre 2005, avec le titre suivant : Images de marque

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