Rétrospective

Ce n’est qu’une chanson

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 21 octobre 2005 - 751 mots

Le Palais de Tokyo à Paris rend hommage à Robert Malaval, vingt-cinq ans après sa mort. À travers une centaine d’œuvres apparaît la figure d’un artiste en héros fragile.

 PARIS - Elle parvient à point, cette relecture de l’œuvre de Robert Malaval proposée par le Palais de Tokyo. Avec son prolongement dans le cadre actuel de la Biennale de Lyon, qu’un cartel dans l’exposition parisienne signale comme une salle du parcours simplement « délocalisée », elle retrace le parcours d’une figure et d’une œuvre intimement liées et librement inspirées. Le regard d’aujourd’hui les restitue dans leur verve et leur pertinence. Par la revendication de liberté stylistique et de légèreté, la figure de l’artiste en héros fragile, les relations à la scène musicale, l’attention permanente à produire un art accessible et sensible à l’air de son temps, Malaval endosse en effet des attitudes, parfois paradoxales ou provocatrices, qui trouvent des échos dans la production contemporaine. Mais qui expliquent aussi une reconnaissance difficile, comme il advient aux œuvres indomptables et irrégulières. Instable et compulsive, la trajectoire de Malaval dessine plusieurs périodes, lui qui a décidé de devenir artiste à 17 ans. Ainsi du cycle l’Aliment blanc (de 1961 à 1965), où la manipulation d’une matière organique entre peinture, sculpture et performance produit des objets assez littéraires, témoins d’une inquiétude organique et fantasmatique. Suivront la série Rose blanc mauve (entre 1965 et 1969), puis la tentation de la couleur, développée entre 1972 et 1974, visible à Lyon. La période Paillettes est largement représentée par le grand mur du Palais de Tokyo, avec l’accrochage de quarante-cinq tableaux peints entre 1974 et 1980. La légèreté revendiquée, mais aussi sa fraîcheur en termes de vocabulaire comme d’écriture rendent cette peinture attachante, intelligente, séduisante jusqu’au décoratif.
Mais plus que les continuités, c’est le sens de la rupture qui marque l’œuvre de Malaval. Chaque exposition est une prise de risques, et l’on comprend mieux la relation à la musique sur laquelle il s’est expliqué très clairement. Les entretiens disponibles dans l’exposition sont à ce titre bienvenus, révélant un personnage très lucide et juste. La fascination pour le monde du rock (et, tour à tour, pour le free jazz, la pop avec son attachement aux Rolling Stones ou le punk dès ses débuts) est avant tout esthétique, dans le sens d’un art qui demande à l’artiste de s’exposer, de prendre des risques, tels ceux des musiciens en concert. Et s’il se fait happer par moments par la séduction de la société branchée de son temps, c’est qu’il y trouve un terrain pour un dandysme entretenu depuis toujours comme un attribut de son état d’artiste. Et que les excès du monde du rock (défonce, alcool, séduction, conquêtes, vie facile et autres clichés de la vie de pop star) correspondent à un dérèglement des sens qu’il a choisi, de préférence à toute pantouflardise artistique, dût-il lui en coûter cher. La tentation du « vivre vite » fait passer Malaval du succès à la chute, creusant un destin sombre et joueur. Ce que le Palais de Tokyo ne saurait montrer, mais dont la belle monographie publiée à cette occasion témoigne, c’est l’importance de la forme de l’exposition dans son itinéraire. Malaval y aura souvent trouvé son inspiration – et ses limites. Ainsi de l’exposition « Transat-Marine-Campagne-Rock’n’roll » en 1971 (dont l’évocation au Palais de Tokyo ne restitue pas grand-chose, contribuant surtout à faire de la chaise longue un attribut de l’art relationnel). L’exposition alors présentée au CNAC (Centre national d’art contemporain) à Paris proposait au visiteur l’écoute de paysages sonores dans un parcours démultiplié par de grands miroirs et des jeux de lumière, mais aussi mettait à disposition des jeux électriques, flippers, juke-boxes, jeux d’enfant et distributeurs de boissons, téléphones intérieurs. Malaval proposait alors une forme d’art environnemental placée sous le signe de l’expérimentation. Ainsi encore de l’exposition-performance à la Maison des arts de Créteil en 1980, où Malaval s’installe pendant plusieurs semaines pour peindre en public, dans une confrontation parfois vive aux spectateurs. Il avait fait sien le mot de « kamikaze » dès 1975. Il ne se relèvera pas de cette dernière expérience, mettant fin à ses jours dans un « délire lucide », comme s’il n’avait pas assez mesuré le sens du titre de cette dernière prestation : « Attention à la peinture ».

ROBERT MALAVAL, KAMIKAZE

Jusqu’au 8 janvier 2006, Palais de Tokyo, Site de création contemporaine, 13, av. du Président-Wilson ; 75116 Paris, tél. 01 47 23 38 86, tlj sauf lundi 12h-24h. Cat. 280 p., 44 euros, ISBN 2-87900-928-6.

Robert Malaval

- Commissariat général : Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans. - Commissaire de l’exposition : Marc Sanchez assisté de Cécile Allouis, Baptiste Laurent (œuvres) et Frédéric Grossi (catalogue). - Bande sonore de l’exposition : Vincent Epplay. - Nombre d’œuvres : 115 ( 28 à La Sucrière à Lyon). - Mécènes : LVMH/Moët Hennessy, Louis Vuitton et Climespace.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°223 du 21 octobre 2005, avec le titre suivant : Ce n’est qu’une chanson

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