L'actualité vue par

Thomas Grenon, administrateur général de la RMN

« L’essentiel de ma mission : conduire une mutation »

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 21 octobre 2005 - 1415 mots

Polytechnicien et ingénieur des Mines, Thomas Grenon a été directeur général de la Cité des sciences et de l’industrie avant d’être nommé en janvier 2005 administrateur général de la Réunion des musées nationaux (RMN). Il commente l’actualité.

 Même s’il ne correspond pas à votre exercice, le rapport d’activité de la RMN pour l’année 2004 va être rendu public prochainement. Peut-on connaître avec précision la situation financière de l’établissement ?
Les résultats sont positifs. La situation est en nette amélioration, mais il reste du travail à faire, notamment pour rétablir à l’équilibre les activités commerciales. Pour cette branche, le déficit courant s’élève à 1,5 million d’euros. Ces activités engendrent des pertes alors qu’elles ont été créées pour gagner de l’argent. Mon objectif est de les ramener à l’équilibre dans les deux années à venir et je pense que c’est faisable, comme l’a confirmé, en avril, un rapport de l’inspection générale des finances. Je mets en place un pilotage par la marge ; il s’agit, par exemple, de développer et de mettre en avant les produits les plus rentables. La maison est positionnée sur du haut de gamme, nos produits sont de qualité et doivent donc être vendus à leur prix. Nous travaillons également sur l’offre en termes d’assortiments de produits, lesquels sont spécifiques à chaque exposition afin de maximiser le taux de transformation à la sortie des expositions (nombre de visiteurs devenant acheteurs) et la valeur du panier moyen. Par ailleurs, nous menons une réflexion sur la création d’une marque-enseigne. Il s’agirait de donner une identité et une existence à la cinquantaine de boutiques que nous gérons dans les musées, à Paris et en régions. La boutique est un prolongement de la visite du musée, l’acte d’achat constituant souvent une forme de transgression par rapport aux œuvres d’art que l’on ne peut pas ramener chez soi. La maison dispose d’une réelle capacité d’investissement qui doit être utilisée pour ramener ces activités à l’équilibre.

Le secteur éditorial est pourtant devenu très concurrentiel. À côté des éditeurs privés, les grands établissements publics peuvent désormais créer leur propre département édition. Dans ce contexte, comment maintenir un pôle édition compétitif ?
Nous avons dans ce domaine un savoir-faire exceptionnel. La RMN est l’un des plus gros éditeurs d’art au monde. Il y a trente ans, nous avons créé le marché du catalogue d’art sur lequel nous avons longtemps été leaders. Aujourd’hui, beaucoup d’éditeurs veulent s’engager sur cette voie, ce qui n’était pas le cas auparavant. Il serait donc stupide pour la RMN de se priver de ce marché, d’autant plus que le rapport de l’inspection générale des finances précise que nos coûts d’édition sont tout à fait compétitifs. Il faut donc utiliser au mieux ces atouts pour développer une politique éditoriale de qualité. Quant aux établissements publics, ils réalisent des coéditions, mais ne prennent pas en charge la fabrication, contrairement à nous. Autre précision : le déficit de la branche est dû à l’édition de catalogues qui ne sont pas des best-sellers, mais cela fait partie de notre mission d’opérateur culturel de l’État. Lorsque nous faisons le catalogue de l’exposition « Félix Bracquemond et les arts décoratifs » à Limoges, nous savons qu’il n’aura pas la même diffusion que celui de « Turner, Whistler, Monet », qui s’est vendu à plus de 50 000 exemplaires. Mais il s’agit d’une publication majeure du point de vue de l’histoire de l’art, et la diffusion en régions est l’une des priorités du ministre de la Culture.

Le Premier ministre a déclaré le 10 octobre qu’une grande exposition se tiendrait prochainement dans la nef du Grand Palais. La RMN sera-t-elle l’opératrice de cette manifestation ? Dans le cas contraire, ne craignez-vous pas que l’on vienne concurrencer les Galeries nationales du Grand Palais sur leur propre terrain, et induire par là une confusion dans l’esprit du public ?
Il est trop tôt pour le dire. La RMN est un opérateur culturel de l’État et fera ce que le ministre lui demande. Mais je ne suis pas inquiet. Prenons par exemple le cas de l’exposition « Ombres et Lumières. Quatre siècles de peinture française », qui a circulé dans les nouveaux pays entrants de l’Union européenne. Son organisation a été confiée à la RMN, car le ministère a considéré qu’elle était le seul opérateur capable de monter une opération aussi ambitieuse. J’ai donc confiance en notre savoir-faire. Nous sommes le premier producteur d’expositions mondial et notre système à la française fait des envieux à l’étranger. Récemment, Neil MacGregor, le directeur du British Museum à Londres, m’a confié qu’il menait une réflexion sur la création d’un modèle de ce type qui permettrait une mise en commun des moyens d’exposition et d’édition. Je suis donc profondément convaincu que la RMN restera l’opérateur culturel majeur de l’État.

À vous entendre, la question d’un démantèlement de la RMN ne se pose plus ?
Elle ne se pose absolument pas. Je m’étonne même qu’on se pose cette question. L’essentiel de ma mission est de conduire une mutation. Cela ne servirait à rien de faire l’autruche en ignorant l’évolution récente du paysage des musées. Il faut donc que nous passions d’une logique de monopole à une logique de service et, pour cela, nous disposons d’atouts très importants, notamment grâce à la qualité de nos équipes. Il faut aussi que nous développions de nouveaux métiers. Nous souhaitons ainsi mettre en place une politique culturelle de qualité pour les Galeries nationales du Grand Palais, dont nous avons depuis septembre la gestion. Nous allons également renforcer notre action envers les régions, en coproduisant des expositions ambitieuses : « Cézanne en Provence » avec le Musée Granet à Aix-en-Provence, qui sera l’événement majeur du centenaire de la mort de l’artiste et, je l’espère, au Palais des beaux-arts de Lille, « Philippe de Champaigne », dont ce sera la première rétrospective. Enfin, je souhaite donner un rôle pivot à notre agence photographique dans la diffusion du patrimoine photographique. À cet effet, nous avons engagé des discussions avec le Centre des monuments nationaux, la Mission du patrimoine photographique et le Musée de l’armée afin d’obtenir la diffusion de leurs fonds. Mais ce qui me paraît primordial, c’est de restaurer la confiance, en interne comme en externe, vis-à-vis de nos partenaires. Nous devons relancer un certain nombre de relations avec les musées, en réaffirmant que la RMN agit à leurs côtés. La vision que l’on a de cet établissement me paraît très décalée de la réalité. Il nous faut donc restaurer l’image de la RMN, qui a été injustement critiquée, parfois même au-delà du raisonnable. J’ai trouvé à mon arrivée une maison meurtrie. Retrouver la confiance constitue donc le préalable à une redynamisation de l’établissement autour d’un projet d’entreprise. Si notre activité reste conforme à nos prévisions – et les débuts de « Vienne 1900 » sont excellents –, le résultat 2005 devrait être positif.

Quels seront les points forts de la première programmation de votre mandat ?
Nous programmons plusieurs expositions exceptionnelles au Grand Palais, notamment grâce à l’aide de Guy Cogeval. La première sera consacrée aux avant-gardes italiennes de 1910 à 1950. En parallèle, nous organisons avec le Musée d’Orsay une exposition monographique consacrée au Douanier Rousseau, puis, à l’automne, avec le Louvre, une exposition sur l’art du portrait de 1770 à 1830, c’est-à-dire du Siècle des lumières à la Restauration. Enfin, nous lancerons au Grand Palais une exposition sur l’art de Walt Disney qui sera emblématique de ce que je souhaite faire en matière de programmation : un thème capable d’amener au Grand Palais un public renouvelé, plus jeune ou peu attiré jusqu’à présent par nos expositions, allié à une qualité scientifique irréprochable. L’art de Walt Disney y sera étudié sous l’angle de l’histoire de l’art, à travers l’évocation de ses sources, de sa manière de travailler, mais aussi de son extraordinaire postérité auprès d’artistes tels que Dalí, Warhol ou Jeff Koons.

Quelle exposition récente vous a particulièrement marqué ?
J’ai été frappé par l’exceptionnelle intelligence de l’exposition « Mélancolie », que nous venons d’ouvrir au Grand Palais. Je trouve qu’elle arrive à allier tout ce que j’aime voir dans une exposition, à savoir qualité du propos, des œuvres et de la scénographie. Il s’agit, certes, d’un thème difficile, mais il touche tout le monde. Pour ma part, je ne crois pas que qualité scientifique et intelligence du propos soient antinomiques avec fréquentation, comme on le dit trop souvent. Je suis le garant de la qualité scientifique des expositions de la RMN, elle est irréprochable et le restera.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°223 du 21 octobre 2005, avec le titre suivant : Thomas Grenon, administrateur général de la RMN

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