Enquête

L’archéologie préventive manque encore de soutien

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 21 octobre 2005 - 1595 mots

Incompris par nombre d’élus et d’aménageurs, les travaux de l’Institut national de recherches archéologiques préventives sont cependant indispensables à la connaissance de notre passé.

PARIS - Les 30 septembre et 1er octobre, la Bibliothèque nationale de France a accueilli des archéologues du monde entier venus évoquer, pour chacun, leur expérience de « Vingt ans d’archéologie préventive dans le monde ». Ces deux journées étaient organisées par l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) « pour élargir le débat, sortir des considérations financières et comptables qui l’accaparent, et montrer, concrètement, à quoi sert l’archéologie préventive », précise Jean-Paul Demoule, président de l’institution. La création de l’Inrap, chargé d’effectuer des fouilles de sauvetage lors de grands travaux d’aménagement sur le territoire français, était attendue depuis longtemps par les chercheurs, archéologues, universitaires et professeurs au Collège de France tels Yves Coppens ou Christian Goudineau. Il a été fondé après plusieurs années de gestation par la loi du 17 janvier 2001, remaniée en 2003 (lire le JdA no 172, 30 mai 2003). Mais il fait déjà régulièrement l’objet d’attaques violentes de la part d’entrepreneurs ou d’élus. Ceux-ci voient d’un mauvais œil le système de financement des fouilles de l’Inrap, fondé sur le principe du casseur payeur. Récemment, l’établissement a été la cible du sénateur Yann Gaillard. « L’archéologie préventive pose un problème qui pourrait presque “être qualifié ” d’irritant » : ainsi démarre son rapport rendu le 29 juin au nom de la commission des finances du Sénat. Dans ce texte, où la mauvaise foi le dispute à l’ignorance, le sénateur qualifie d’« erreur stratégique » la création de l’Inrap sous le statut d’établissement public national. Un statut auquel il aurait préféré celui d’établissement à caractère industriel et commercial (EPIC), pourtant inadapté à des missions de service public, en témoigne la situation actuelle de la Réunion des musées nationaux. Brandissant les chiffres de 1 750 emplois pour 2005, contre 1 553 en 2003 et 1 749 en 2004, Yann Gaillard dénonce une « crise financière » et une « dérive de personnel ». Ces effectifs sont pourtant très en deçà des besoins actuels, et sans comparaison possible avec les 2 187 employés (ou 1 894 personnes à équivalent temps plein) du seul Musée du Louvre ou des 2 800 employés de la Bibliothèque nationale de France !

L’année dernière déjà, dans nos colonnes (lire le JdA no 196, 25 juin 2004), Alain Schnapp, alors directeur de l’Institut national en histoire de l’art, s’insurgeait contre les « propos de certains sénateurs ou députés mal informés qui veulent réduire le nombre d’archéologues : il n’y en a pas assez ! S’il y en avait 15 000, on pourrait discuter ! ». Et le rapport Gaillard de vanter les mérites du système libéral anglais, dont on connaît pourtant la fragilité et les conséquences désastreuses pour la qualité scientifique des fouilles. Dans le nord de la France, des sites paléolithiques remontant à plus de 100 000 ans ont pu être mis au jour. Dans le sud de l’Angleterre, occupé à la même époque par des populations identiques (les deux régions n’étaient pas encore séparées par la Manche), aucun équivalent n’a pu être découvert, sans doute à cause des moyens plus restreints de l’archéologie préventive britannique.

La redevance : un faux problème
Mais le fer de lance des farouches opposants à l’Inrap se focalise sur la redevance imposée aux aménageurs pour financer en grande partie les diagnostics et éventuelles fouilles. La taxe contribue aussi pour un tiers au Fonds national pour l’archéologie préventive (FNAP) mis en place pour les aménageurs exonérés ou les communes nécessiteuses. La redevance aurait dû permettre à l’Inrap de s’autofinancer à 70 %. Mais, déjà amputée de 25 % en janvier 2003 sous la pression d’une poignée d’élus – le député Daniel Garrigue (UMP) en tête –, la redevance a été recalculée en 2004 pour intégrer de nouveaux critères comme la valeur de l’équipement. Elle s’applique à présent sur une superficie supérieure ou égale à 3 000 m2 et s’élève à 0,32 euro du m2. Ce qui représente environ 1 % du coût total de la construction d’une autoroute ou encore 0,3 % du coût de la nouvelle ligne à grande vitesse est-européenne. Les réajustements de 2004, indispensables pour quelques cas aberrants, ont aussi introduit un certain nombre d’exonérations – exemple, les promoteurs immobiliers construisant sur un lotissement des habitations destinées à être louées ou vendues à des particuliers ne sont plus obligés de payer la redevance. Cette supression a fâcheusement diminué les fruits de la redevance, inférieure pour moitié à ce que l’Inrap escomptait. Estimée entre 60 et 80 millions d’euros annuels, l’apport de la taxe avoisine en réalité les 35 à 40 millions d’euros. Une situation aggravée par les lenteurs de l’administration qui n’a pas su donner aux personnels des directions régionales des Affaires culturelles (services déconcentrés du ministère de la Culture), promus soudainement percepteurs en 2005, les moyens de récolter les bénéfices de l’imposition. « La redevance n’a jamais été bien paramétrée parce que, à chaque fois, en 2001, 2003 et 2004, les calculs ont été faits dans l’urgence, en quelques semaines, sans en prévoir les effets pervers. Le problème est purement technique », explique Jean-Paul Demoule. Le manque à gagner de l’Inrap a été comblé par le ministère de la Culture, à hauteur de 39 millions en 2002 et 2003, puis de 12 millions en 2004 et probablement de 15 pour 2005. Pour 2007, la direction de l’Architecture et du Patrimoine (ministère de la Culture) s’est engagée à trouver l’équilibre.

« Le climat n’est pas sain, le discours est centré sur les dérives, le déficit, le monopole de l’Inrap, alors que notre budget, voté par notre conseil d’administration où siègent élus et aménageurs, est validé par nos trois ministères de tutelle (Culture, Recherche et Finances) ! En réalité le problème de fond est ailleurs, il n’est pas financier mais avant tout culturel », résume Jean-Paul Demoule.

Des fouilles expéditives
Pour nos édiles, l’archéologie fondatrice se situerait à Rome ou dans la Grèce antique, plus que sur notre propre territoire. Peuple vaincu, les Gaulois, décrits comme sales et barbares, n’intéressaient personne jusqu’à très récemment (lire l’encadré). Alors que l’École française d’Athènes fut fondée en 1846, il a fallu attendre les années 1970 pour que l’archéologie se professionnalise en France et que les fouilles préventives soient reconnues d’utilité publique ! Des années de destructions spectaculaires et scandaleuses – au milieu des années 1970, les Orléanais assistèrent au saccage du cimetière médiéval dit « du Campo Santo » dont les restes humains gisaient pêle-mêle dans les bennes des camions – ont fini par toucher l’opinion publique puis les pouvoirs en place. « Même s’il reste un noyau dur qui relève de l’irrationnel, et, dans certains cas, de la psychanalyse sociale », Jean-Paul Demoule reste « optimiste à moyen terme ». « Avec les gros aménageurs et beaucoup d’élus, nous avons bien progressé. Le public aime l’archéologie. Le temps joue pour nous. Le fait que la loi ait été votée par deux majorités successives est, en outre, un bon signe. »

Mais la situation reste préoccupante et les élus ne sont pas tous sensibles à la sauvegarde du passé et à l’enrichissement du patrimoine. Sitôt et vite fouillé, l’ancien palais wisigoth de Toulouse, pourtant exceptionnel, a été détruit sans aucun état d’âme dans les années 1990. Espérons que la Ville réserve un sort meilleur aux vestiges du château des comtes de Toulouse, découvert en août sur le site du palais de justice. Disposant de moyens de plus en plus sophistiqués (lire p. 5), l’archéologie préventive, qui représente 90 % des fouilles en France, s’ouvre à de nouveaux horizons. Mises en place il y a à peine plus de dix ans, l’archéologie du quotidien, l’archéologie des techniques ou celle du bâti promettent des découvertes fondamentales pour la connaissance de notre passé. Même si la construction d’un parking ou d’une autoroute est utile, laissons à l’archéologie préventive le temps de faire ses preuves. Le devoir de mémoire ne se négocie pas.

Inrap, 7, rue de Madrid, 75008 Paris, tél. 01 40 08 80 00, www.inrap.fr. À lire : Jean-Paul Demoule (sous la direction de), La France archéologique. Vingt ans d’aménagement et de découvertes, éd. Hazan, 2004, 256 p., 45 euros, ISBN 2-85025-968-3 ; Jean-Paul Demoule, Histoire de l’archéologie. Entre science et passion, éd. Gallimard (« Découverte »), novembre 2005, 160 p., 13,90 euros. Les chiffres de l’Inrap (et quelques données comparatives) L’Archéologie préventive représente 90 % des fouilles en France. Les diagnostics sont effectués sur 11 % des dossiers d’aménagement du territoire enregistrés, suivis de fouilles pour seulement 16,8 % des cas. - Nombre d’archéologues de l’Inrap : 1 750 (1 450 CDI et 300 CDD en équivalent temps plein). Au Japon : 7 000 archéologues préventifs pour un territoire moitié moins grand que la France. - Nombre d’archéologues en France : 3 000 (Inrap, université, CNRS, collectivités). Aux Pays-Bas : 1 000 archéologues pour un territoire équivalant à 1/17e de la France. - Superficie annuelle des territoires aménagés (routes, autoroutes, ponts, lignes de TGV) : 70 000 hectares. - Nombre de sites archéologiques répertoriés en France : 350 000 (probablement moins d’1/10e des sites potentiels). - Budget annuel de l’Inrap : 120 millions d’euros (dont 65 millions pour le personnel) soit 1/1000e du budget total des aménagements en France. p Potentiel fiscal de la redevance : 35-40 millions d’euros (contre 60-80 millions prévus). - Déficit de l’Inrap : 39 millions d’euros pour 2002-2003 ; 12 millions pour 2004 (équivalant à celui de la Scala de Milan) et 15 millions pour 2005.

La véritable histoire d’Astérix

Parmi les révélations introduites par l’archéologie préventive : la véritable histoire de nos ancêtres gaulois, fort éloignée de l’image d’Épinal véhiculée par la bande dessinée ou les manuels scolaires. Loin des petites huttes perdues au milieu de la forêt, les Gaulois ont laissé derrière eux (surtout lors des deux derniers siècles avant notre ère) des villes à l’urbanisme rigoureux, de vastes maisons de terre et de bois construites sur des plans quadrangulaires, un artisanat recherché et une économie monétaire. De solides bâtiments en bois alignés le long de rues rectilignes, des ateliers pour frapper la monnaie et de riches tombes ont été exhumées à Nanterre en 2003. Et, sous la nouvelle piste de l’aéroport de Roissy, ont été découvertes les sépultures des élites gauloises, qui se faisaient enterrer avec leurs bijoux ou leurs chars.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°223 du 21 octobre 2005, avec le titre suivant : L’archéologie préventive manque encore de soutien

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