Art moderne

Dialogue sur mesure

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 4 novembre 2005 - 644 mots

Braque et Laurens, une amitié retrouvée au Musée des beaux-arts de Lyon.

 LYON - Les expositions monographiques seraient-elles passées de mode au profit des confrontations entre les œuvres de deux, voire trois artistes ? « Braque/Laurens, un dialogue », au Musée des beaux-arts de Lyon, en est un exemple éclatant. La longue amitié créatrice des deux artistes revit au fil des chefs-d’œuvre prêtés par le Centre Pompidou de Paris – dans le cadre de sa série d’expositions « hors-les-murs » –, auxquels s’ajoutent d’importants prêts internationaux.
Le parcours débute avec Le Grand Nu (1911) et Automne (1948). La peinture de Georges Braque et l’imposante sculpture en bronze d’Henri Laurens engagent la conversation entre les deux créateurs dès cette première salle. Plus qu’un dialogue, le visiteur assiste à une suite d’échos, de résonances – Le Grand Nu est lui-même une réponse aux Demoiselles d’Avignon de Pablo Picasso. Leurs œuvres ne sont pas présentées les unes après les autres, mais de façon à rendre audible leurs voix individuelles accordées entre elles.
Georges Braque (1882-1963) et Henri Laurens (1885-1954) se sont rencontrés en 1911, par le biais de leurs épouses. Tout juste formé au fauvisme et marqué par sa découverte de Cézanne, Braque navigue alors entre la déconstruction et la fusion du cubisme, avec Pablo Picasso. Accrochés face à face, Femme à la guitare (1913) et Homme à la guitare (1914) forment un duo musical impromptu. La phrase de Cézanne selon laquelle il faut « traiter la nature sous forme du cylindre, de la sphère, du cône » se retrouve, quant à elle, de manière littérale dans les compositions géométriques d’Henri Laurens de 1915 (Le Clown et Danseuse ou Joséphine Baker). Les deux artistes explorent la technique du collage – Laurens reprend l’idée du carton ondulé pour sa Tête de femme (1918), utilisé par Braque pour sa Mandoline (1914). Tandis que ce dernier explore les limites de la peinture, inscrivant ses visions en trois dimensions sur une toile, Laurens fait le chemin inverse. Il gravite résolument du dessin vers la construction tridimensionnelle, donnant forme à diverses « Bouteilles » en bois et tôle polychromes, dont seules une trentaine sont répertoriées.
Isabelle Monod-Fontaine, la commissaire de l’exposition, évoque une « profonde connivence sur la manière d’envisager la sculpture et la peinture ». La scénographie est, à cet égard, l’un des points forts de l’exposition. L’architecte Jean-Claude Goepp joue sur le rythme, les correspondances et les transparences, en découpant, par exemple, des fenêtres dans les cimaises. Le bas-relief polychrome Compotier aux raisins (1922) de Laurens et l’huile sur toile Fruits sur une nappe et compotier (1925) de Braque sont judicieusement juxtaposés. Les terres cuites cubistes de Laurens forment un cercle évoquant la rosace d’une guitare, instrument si présent dans les natures mortes présentes alentour. Parfaitement éclairée, sa scintillante Cariatide assise (1929) ouvre la procession de petits bronzes présentés, les uns après les autres, dans une enfilade de vitrines cubiques. L’ensemble résonne de l’esprit architectural des années 1930, décennie de création de ces pièces. Ce décor rigide souligne à merveille les arabesques des corps féminins.
Cette légèreté s’efface devant le spectre de la guerre. Les tableaux d’intérieurs et les natures mortes de Braque sont assourdis de dominantes noires. Les femmes, si plantureuses chez le sculpteur, sont aussi fines que la toile chez le peintre. Les bronzes de Laurens se recroquevillent, et ses personnages dessinés se débattent, emprisonnés dans le cadre du papier. La couleur et l’apaisement réapparaissent avec la Libération. Lorsque Laurens décède en 1954, Braque se retrouve face à lui-même. L’exposition s’achève sur La Sarcleuse (1961-1963), ou la Faucheuse, sa dernière compagne.

BRAQUE/LAURENS, UN DIALOGUE

Jusqu’au 30 janvier 2006, Musée des beaux-arts de Lyon, 20, place des Terreaux, 69001 Lyon, tél. 04 72 10 30 30, tlj sauf mardi et jours fériés, 10h-18h (10h30-20h le vendredi). Catalogue, éditions du Centre Pompidou, 152 p., 135 ill., 50 similis, 29,90 euros, ISBN 2-84426-288-0.

BRAQUE/LAURENS, UN DIALOGUE

- Commissaires : Sylvie Ramond, directrice du Musée des beaux-arts de Lyon, Isabelle Monod-Fontaine, directrice adjointe du Centre Pompidou, MNAM-CCI, Marielle Tabart, conservatrice au Centre Pompidou - Nombre d’œuvres : 137 (48 Braque, 89 Laurens) - Nombre de salles : 17 salles sur deux étages - Scénographie : Jean-Claude Goepp, architecte

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°224 du 4 novembre 2005, avec le titre suivant : Dialogue sur mesure

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