Art médiéval

Comme des bêtes

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 4 novembre 2005 - 645 mots

La Bibliothèque nationale de France expose quelques-uns de ses nombreux manuscrits
sur le thème du bestiaire du Moyen Âge. Voyage entre monde réel et imaginaire.

 PARIS - Déjà sculptés sur les chapiteaux des églises romanes, les animaux envahissent les pages enluminées des manuscrits occidentaux à partir du XIIe siècle et feront l’objet d’une attention particulière de la part des artistes jusqu’au début du XVIe. Démonstration en est aujourd’hui faite à la Bibliothèque nationale de France (BNF), qui présente quatre-vingts manuscrits selon un parcours très didactique, organisé autour de thèmes génériques comme la foi chrétienne, le savoir, la société, la chasse… Loin de tout propos scientifique, l’exposition est une invitation à découvrir quelques-unes des plus belles pièces de l’institution, comme le Livre des oiseaux (XIIe siècle) d’Hugues de Fouilloy, chanoine de l’ordre de Saint-Augustin, ou le Livre du Trésor (1285-1290) du Florentin Brunetto Latini, petite encyclopédie pour les laïcs donnant des conseils pratiques pour l’élevage d’animaux domestiques. Citons encore le Livre des propriétés des choses (fin XIVe-début XVe) du franciscain Barthélemy l’Anglais, un inventaire du monde sous la forme d’un aide-mémoire pour offrir aux prédicateurs de sa confrérie différentes interprétations des Saintes Écritures. Deux chapitres y sont consacrés aux animaux, exposant la thématique à associer à chaque bête : vivant dans l’obscurité, la chauve-souris peut être utilisée lors d’un sermon sur la paresse ou la méchanceté, alors que la panthère, qui attire tous les animaux par la douceur de son haleine, est l’image du Christ rassemblant les fidèles.

Des animaux du fantastique à ceux du quotidien
Les animaux de la Bible constituent l’élément fondateur du bestiaire médiéval. On retrouve fréquemment représentés l’épisode du Déluge – un bon moyen de décrire avec minutie les nombreux passagers de l’arche de Noé –, l’aventure de saint Michel terrassant le dragon ou encore celle de saint Jérôme retirant une épine de la patte d’un lion. Dans ce Missel-Livre d’heures franciscain daté entre 1385-1395, les tentations qui assaillent saint Antoine dans le désert prennent l’apparence d’un lion, de deux gros chiens, d’une chèvre et d’un dragon. Animal mythique qui a fasciné tout le Moyen Âge, la licorne, que seule une jeune fille vierge peut capturer, est pour sa part assimilée au Christ. Les Secrets d’histoire naturelle (1480-1485) peints par Robinet Testard offrent un très bel exemple du bestiaire fabuleux : on y découvre un dragon, un crocodile à tête de loup, un capricorne à la fourrure blanche tachetée, et même une sorte de lion à oreilles de chien, cornes de cerf et pattes de canard griffues ! Ces créatures fantastiques cèdent la place, vers la fin du XIVe siècle, à des bêtes sauvages plus réelles comme le sanglier, l’ours, le loup et le chien, notamment dans les livres de chasse, tel le célèbre Livre de la chasse de Gaston Phébus. Mais c’est en Italie, à la cour des Visconti, que les représentations naturalistes sont les plus remarquables. En témoigne la délicate page extraite de la Vie des saints pères de Domenico Calva (1465), où apparaît le guépard apprivoisé, emblème des Visconti. Avec les livres d’heures, au XVe siècle, les animaux du monde paysan font leur entrée dans le bestiaire médiéval : moutons, porcs ou volailles racontent le quotidien des hommes. Les illustrations des travaux des mois apportent sur le sujet une importante documentation iconographique. À partir du milieu du XVIIe siècle, les zoologues se dégagent du discours et des symboles pour faire de l’animal le sujet central de leurs études. Les premières planches de dissection (réalisées à partir de la ménagerie de Versailles) voient le jour en 1676 avec les Mémoires pour servir à l’histoire naturelle des animaux du médecin Claude Perrault. Le début d’un nouveau rapport au monde animal.

BESTIAIRE MÉDIÉVAL

Jusqu’au 8 janvier 2006, Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand, quai François-Mauriac, 75013 Paris, tél. 01 53 79 59 59, tlj sauf lundi, 10h-19h (12h-19h le dimanche). Catalogue, 240 p., 34 euros.

Les « yôkaï », esprits fantastiques des ténèbres D’étranges créatures ont envahi les espaces de la Maison de la culture du Japon à Paris. Il s’agit des « yôkaï », ces esprits des objets anciens apparus au Japon au XIIe siècle. Pour se venger des humains qui les ont abandonnés, ils les tuent et se régalent de leur chair. Ils sont généralement représentés sur des rouleaux peints qui, en arrière-plan, figurent souvent les troubles politiques de l’époque. Dans le Rouleau peint du cortège nocturne des Cent Démons, les yôkaï adoptent toutes sortes de formes, animales, démoniaques ou humaines, se fondent dans les ténèbres de la nuit pour former une immense cohue. À l’époque Edo (1603-1868), les représentations de yôkaï connaissent un franc succès. L’Album illustré du cortège nocturne des Cent Démons du maître de l’estampe Toriyama Sekien se présente comme une encyclopédie, avec plus de cent cinquante esprits, fantômes et autres monstres répertoriés. Le célèbre Hokusai excellait dans la représentation des yôkaï, tout comme son disciple Utagawa Kuniyoshi. Avec les mangas japonais, la tradition des yôkaï a trouvé un nouveau souffle. - « Yôkaï. Bestiaire du fantastique japonais », Maison de la culture du Japon, 101 bis, quai Branly, 75015 Paris, tél. 01 44 37 95 01. Jusqu’au 28 janvier 2006. La zoologie d’Aldrovandi Les éditions Actes Sud et Motta publient une sélection des aquarelles zoologiques d’Ulisse Aldrovandi, philosophe, médecin et naturaliste italien du XVIe siècle, qui fonda en 1568 le célèbre jardin botanique de Bologne. Les quatre cent quarante planches d’Aldrovandi, véritables chefs-d’œuvre, sont magnifiquement reproduites en pleines pages. L’ouvrage présente aussi des essais préliminaires, de nombreuses productions et des notices scientifiques. - Ulisse Aldrovandi, Les Animaux et les Créatures monstrueuses, Actes Sud/Motta, 2005, 256 p., 99 euros, ISBN 2-74275-367-2

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°224 du 4 novembre 2005, avec le titre suivant : Comme des bêtes

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