Paroles d’artiste - Barthélémy Toguo

« Les Africains ne doivent pas capituler »

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 18 novembre 2005 - 820 mots

À l’occasion de son exposition à la galerie Anne de Villepoix, à Paris, Barthélémy Toguo, artiste multimédia né en 1967 au Cameroun, nous met face à un être humain qui, aux prises avec la violence ordinaire, le terrorisme et les catastrophes naturelles, est aussi constructeur qu’autodestructeur.

Pourquoi avoir choisi le titre « Slow Destruction » pour votre exposition à la galerie Anne de Villepoix ?
Nous vivons dans une société dans laquelle le désordre est ambiant, les guerres et les catastrophes se multiplient, les échanges Nord/Sud sont en sens unique, les foyers de tensions explosent…
Au fil du temps, l’être humain se détruit. Cette notion de destruction est retranscrite dans la série d’aquarelles rouges « Purification » (2005) dans laquelle le corps humain expulse douloureusement ses maux par tous ses orifices. L’homme en ressort meurtri. L’installation Life is a Chessboard rappelle que l’homme reste un objet, un pion qui se déplace, qui pousse l’autre pour avancer, qui l’élimine, qui le tue comme dans un jeu d’échecs. Derrière cette installation sont inscrits en filigrane les Dix Commandements, qui sonnent comme un rappel : si l’homme les avait respectés, si l’homme les respectait, en serions-nous là ?
Ces débordements de l’homme entraînent les guerres et ses conséquences désastreuses illustrées dans l’installation en céramique Baby Bomb (2005), un mémorial dédié aux centaines d’enfants irakiens massacrés dans un hôpital par l’armée américaine lors de son entrée dans la ville de Falloudja. De ce fait, accrochée sur un muret, une empreinte comme un slogan nous pose cette question emblématique : Who is the True Terrorist (2005) ? Même meurtri, l’homme reste au centre de « Slow Destruction ». Il se détruit et se construit à la fois. Pour cette exposition, j’ai introduit de grandes photographies (208 x 130 cm) d’hommes travaillant à la chaîne sur un chantier. Ces images accentuent grandeur nature cette destruction latente qui envahit les espaces de la galerie. La construction est justement le résultat d’une déconstruction, celle de l’environnement et de son écosystème. Elle entraîne donc inévitablement le déséquilibre et la pollution.
Comme je l’ai fait au Kosovo et en Serbie avec Head Above Water I (2004), cette exposition donne directement la parole à un peuple, celui du Nigeria, qui s’exprime librement sur des cartes postales illustrées. Les Nigérians relatent leur réalité quotidienne ainsi que leurs souhaits dans Head Above Water II (2005), pour espérer un jour vivre dans un monde meilleur. Comme le dit Emmanuel Kant, « l’art n’est pas à mes yeux une réjouissance solitaire, il est un moyen d’émouvoir le plus grand nombre d’hommes en leur offrant une image privilégiée des souffrances et des joies communes ».

Aujourd’hui, les artistes semblent plus préoccupés par des questions d’esthétique que par les débats politiques. Vous semblez vous situer à contre-courant de cette tendance. Pourquoi ?
En ce qui me concerne, lorsque je travaille sur une nouvelle pièce, j’accorde autant d’importance à son aspect esthétique (choix des matériaux, couleurs, formes, rendu visuel) qu’à son contenu, qu’il soit politique, économique, social ou autre. Même si l’art véhicule des opinions, dénonce, critique, relate, interpelle, il est visuel. Il est essentiel pour moi de célébrer l’esthétisme d’une sculpture, d’un dessin, d’une photographie, d’une performance.

Vous menez depuis quelque temps un projet de centre d’art au Cameroun. Quelle en est la nature ?
« Bandjoun Station » est un projet personnel qui est né à la suite d’un constat d’échec pour des projets culturels sur le continent africain. En effet, au regard de l’absence de démocratie et de liberté, les Africains doivent comprendre qu’ils ne doivent pas capituler. Il est important qu’ils imaginent eux-mêmes des solutions dans tous les domaines (agricole, médical, économique, social, culturel). Je pense que les pays d’Afrique devraient se doter d’un plus grand nombre de structures afin de stimuler la création, l’envie de culture et la nécessité de garder la création artistique contemporaine du continent sur le continent, ce qui n’est pas le cas pour l’art traditionnel. « Bandjoun Station » est avant tout un lieu de vie, d’expression et de rencontre d’artistes, de plasticiens, chorégraphes, photographes, écrivains, sociologues, cinéastes, critiques d’art, comédiens ou ethnologues. Certains d’entre eux pourront être en résidence à « Bandjoun House », un ensemble de douze ateliers-logements construit à 600 mètres de « Bandjoun Station ». Tous les artistes invités pourront alors développer leurs projets qui seront en totale adéquation avec ce lieu, son environnement et la population. L’espace est divisé en cinq plateaux de 120 m2 chacun : un sous-sol pour les conférences et projections, un rez-de-chaussée pour la bibliothèque, les deux premiers niveaux pour des expositions temporaires et enfin un troisième niveau pour la collection permanente.  Celle-ci sera issue des échanges faits avec des artistes internationaux afin d’éviter un ghetto africain. L’ouverture est prévue en novembre 2006.

Propos recueillis par la rédaction

Galerie Anne de Villepoix, 43, rue de Montmorency, 75003 Paris, tél. 01 42 78 32 24, du lundi au samedi 10h-19h. Jusqu’au 23 décembre.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°225 du 18 novembre 2005, avec le titre suivant : Paroles d’artiste - Barthélémy Toguo

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