Paroles d’artiste

Doug Aitken

« “Ultraworld”?, une histoire sans début et sans fin »

Par Anaïd Demir · Le Journal des Arts

Le 2 décembre 2005 - 720 mots

Une réalité fragmentée, des lieux de passage, des reflets et des reflexions, un autre espace-temps... Les installations et films de l’artiste californien Doug Aitken (né en 1968) proposent d’embarquer les visiteurs pour des voyages en apesanteur. À l’occasion de son exposition personnelle au Couvent des Cordeliers, organisée par le Musée d’art moderne de la Ville de Paris et intitulée « Ultraworld », l’artiste répond à nos questions.

 Qu’est-ce qu’« Ultraworld » ?
C’est un lieu nouveau, un monde du futur, «Ultraworld » est un « ultra »-monde. C’est un paysage où la chair des corps se sépare du concret et du vitreux de la ville. Un monde du futur où l’électricité jaillit à travers tes veines. « Ultraworld » est une histoire sans début et sans fin. C’est le nouveau toi.

Comment avez-vous organisé l’espace pour cette exposition ?
L’exposition a été conçue comme une scène. Les espaces architecturaux sont là pour que l’on se déplace de plus en plus vite, jusqu’à ce qu’ils se déconstruisent et se désintègrent. Je voulais réaliser un espace dans lequel le spectateur ne toucherait plus le sol du musée. Je voulais qu’il en saisisse le contenu et en soit content.

Est-ce une sorte de piste d’atterrissage ?
Ce serait plutôt une rampe de lancement.

Quelle expérience nous proposez-vous ?
À vous de voir !

Quel est le scénario ?
Le spectateur est le scénario, et sa relation au nouveau monde en est le sous-titre. Je suis pour un art qui donne des choix et des possibilités au spectateur. Le simple fait de voir devrait être une libération.

Des aéroports, des corridors, des tunnels… D’où vient votre intérêt pour les lieux de transit ?
Ces types de lieux sont les toiles de fond de nos vies. Ils existent dans « Ultraworld » parce qu’ils sont des sortes de lieux de démultiplication. Des lieux comme ceux-là créent une nouvelle surface psychologique à notre expérience quotidienne. Je pense que nous avons perdu la séparation entre nos mondes intérieurs et l’environnement extérieur.

The Moment est un espace sombre avec des miroirs, plusieurs écrans et des jeux de reflets. Qu’est ce qui sépare l’espace privé de l’espace public ?
Chacun des trente individus de cette installation deviennent un seul et unique mouvement synchronisé, ils sont une personne, une action. Leurs actions se répètent et suivent les mêmes motifs, c’est presque mathématique. Ils essaient de dilater et de contracter les moments, ce qui conduit à des relations exagérément proches de notre expérience de la perception.

Quel lien y a-t-il entre les pièces filmiques et les miroirs mouvants qui composent l’installation No History ?
Je suis attiré par le mouvement, bien que je me demande jusqu’à quel point il est possible de l’accélérer tout en restant toujours debout. Peut-on parvenir à la netteté et l’immobilité à travers la vitesse ? Je suppose que le mouvement est au cœur de cette exposition.

Les visiteurs sont-ils des voyageurs ?
On voyage tous tout le temps.

Qu’attendez-vous du public en général ?
Je n’en attends rien du tout, à part qu’il soit libre d’interpréter. Les gens doivent réagir comme il leur plaît à l’art. C’est cela qui est beau.

Le cinéma est-il une expérience sensorielle pour vous ?
Si vous voulez dire comme à Hollywood, je pleure souvent quand je vois des films dans l’avion, car c’est de la sensation, et je suis très sensible quand je suis seul. Mais est-ce de la sensation ou de la manipulation ? C’est la fine limite sur laquelle le cinéma joue.

Pensez-vous que le cinéma puisse dépasser les limites de la fiction traditionnelle et établir une nouvelle relation au temps ?
La ligne narrative est morte, elle a volé en éclats et se propage. C’est désormais un temps évolutif qui s’impose. Mais le cinéma est limité, et nous avons grandi avec ce que le film traditionnel nous offrait. Nos vies sont des expériences kaléidoscopiques, nos journées se remplissent de fragments de conversation, de rencontres improbables, sensuelles et volatiles. Comment faire en sorte que ces rencontres possibles puissent être intégrées à des scénarios avec un début et une fin ? Pour résumer la vie, il faut se priver de son énergie vitale.

Ultraworld

Jusqu’au 31 décembre, ARC/Musée d’art moderne de la Ville de Paris, Couvent des Cordeliers, 15, rue de l’École-de-Médecine, 75006 Paris, tél. 01 53 67 40 00, tlj sauf lundi, 12h-20h

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°226 du 2 décembre 2005, avec le titre suivant : Doug Aitken

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