Triennale de Turin

Régime sec

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 2 décembre 2005 - 704 mots

Entre espoirs globalisants et terreurs devenues mondiales, Turin lance une triennale ambitieuse, mais victime de son appétit. À trop multiplier les invitations, la manifestation flirte parfois avec le vide.

 TURIN - La démonstration est impeccable. La Vespa – emblème italien s’il en est – est envisagée selon trois états rigoureusement alignés : la première est entière, la deuxième légèrement démontée, la troisième totalement fragmentée, pendant que leurs pièces détachées sont suspendues dans l’espace, en parfaite symétrie avec les carcasses. On croirait un schéma d’ingénierie devenu volume, une expérience grandeur nature où la multiplicité d’entités générées par l’éclatement conférerait à l’objet une autre identité, en même temps qu’un dynamisme nouveau.
Le Miracolo Italiano (2005) de Damián Ortega frappe fort et synthétise remarquablement l’esprit de cette nouvelle Triennale de Turin. Sur son berceau se sont penchées nombre d’institutions publiques et privées – Castello di Rivoli, GAM (Galleria Civica d’Arte Moderna e Contemporanea), Fondation Merz et Fondation Sandretto Re Rebaudengo.
Lesquelles sont ardemment soutenues par les édiles locaux et régionaux, avec la volonté d’affirmer plus encore le leadership italien exercé par la capitale piémontaise en matière d’art contemporain.
Avec un titre plutôt bien vu, Le Syndrome de Pantagruel, la manifestation, en sept lieux d’exposition et soixante-quinze artistes (on ne glosera pas une fois de plus sur la faible représentation française à l’étranger : trois artistes ici), s’étire en questions politiques, économiques, sociales, écologiques… Celles-ci touchent aux bienfaits et méfaits de la globalisation, à ses heurs et terreurs induits par ses conséquences. Le tout considéré à l’aune de la boulimie informative et de la capacité d’expérience caractéristiques d’une époque marquée par la circulation rapide et le voyage sans fin.

Échange d’idées
Quand Richard Hughes inquiète avec des sculptures mi-attachantes mi-menaçantes, telle cette doudoune à la forme étrange accrochée au mur au-dessus d’une table (I wanna see you sweat, 2005), Marine Hugonnier apaise par la contemplation, avec deux vues d’un même lieu dans des espaces distincts aux ambiances lumineuses opposées, rouge ou bleue – Wednesday (Monte Pascoal, Brazil) et Thursday (Monte Pascoal, Brazil), 2005. Plus loin, Clemens von Wedemeyer, avec un court film noir et blanc aux contrastes crus et aux séquences hypnotiques, redécoupe l’espace grâce à un corps en mouvement – Untitled (Reconstruction), 2005. Davantage psychédélique, Justin Lowe invite au voyage dans une dense installation où se côtoient films, voiture, affiches, vêtements et objets en tous genres (If you’ve got Ghosts, you’ve got everything, 2005). Christelle Lheureux et Apichatpong Weerasethakul, en deux projections conjointes, jouent pour leur part avec la légèreté des possibles, quand deux enfants, tels des génies en herbe, énoncent des actions qu’un adolescent met parallèlement en œuvre (Ghost of Asia, 2005).
Deux créateurs plus âgés que la moyenne, comme des points référents, bénéficient d’une exposition personnelle. Dans ce contexte général, l’invitation faite à Takashi Murakami semble curieuse : on a connu artiste plus marqué par les propos de cette triennale ! Le choix de Doris Salcedo apparaît plus judicieux, notamment au vu des tensions qui traversent ses beaux volumes combinant mobilier ancien et blocs de ciment.
Pensée comme un réseau et un échange d’idées, la manifestation est elle aussi conçue en système relationnel, avec l’aide de dix correspondants internationaux. Méthode intéressante, mais frôlant le politically correct lorsqu’il s’agit sans doute de ne négliger aucun coin de la planète. Car c’est bien ce qui gêne dans cette triennale… le trop-plein comme vecteur de bonne conscience, comme assurance de n’avoir rien omis, qui souvent conduit à des propositions déjà vues et revues ailleurs, associées à des thématiques similaires. Pas foncièrement mauvaise, l’« action pour la revitalisation des végétaux cultivés » n’est pas de première fraîcheur (Andrea Caretto et Raffaella Spagna, E.S.C.U.L.E.N.T.A., 2005), lorsque ketchup et mayonnaise étalés sur le ventre et fourrés dans le pantalon laissent pantois (Melissa Martin, Seconds, 2004) !
Francesco Bonami affirme dans le catalogue que « notre civilisation est obèse » et que « les artistes invités […] sont collectivement présentés comme un parmi plusieurs régimes possibles ». Peut-être conviendrait-il d’affiner encore un peu la prescription pour la rendre moins diluée, donc plus digeste et pertinente.

TRIENNALE DE TURIN. LE SYNDROME DE PANTAGRUEL

Jusqu’au 19 mars 2006, divers lieux, Turin, Italie, www.torinotriennale.it, tlj sauf lundi. Cat., éd. Skira, 472 p., 311 ill., 35 euros, ISBN 8-87624-566-9.

TRIENNALE DE TURIN

- Commissaires : Francesco Bonami, Carolyn Christov-Bakargiev - Nombre d’artistes : 75 - Nombre d’œuvres : 132

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°226 du 2 décembre 2005, avec le titre suivant : Régime sec

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