Charlotte Perriand, designeuse moderne

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 16 décembre 2005 - 855 mots

Longtemps restée dans l’ombre de Le Corbusier et de Prouvé, l’architecte d’intérieur accède aujourd’hui à une juste consécration. Le Centre Pompidou lui offre une importante rétrospective.

Connaîtra-t-on vraiment, un jour, l’exacte production de Charlotte Perriand (1903-1999) ? La rétrospective que propose aujourd’hui le Centre Pompidou en cerne en tout cas la majeure partie dans un parcours remarquable. Ne subsistent que quelques infimes zones d’ombre. Prenez la fameuse « chaise longue de Le Corbusier ». Longtemps, celle-ci n’a été attribuée qu’au seul Le Corbusier. Puis, au fil du temps, son auteur est devenu tricéphale : Le Corbusier, Pierre Jeanneret son cousin, et Perriand. Mais nombreux sont ceux qui pensent que, dans l’élaboration de cette assise aujourd’hui mythique, la contribution de Charlotte fut prépondérante. Jamais Perriand n’a confirmé ni infirmé le rôle de chacun. Sur les cimaises du Centre Pompidou témoignent des carnets de croquis, une lettre de 1932 signée « Corbu », qui précise clairement : « Je certifie que Madame Charlotte Perriand travaille avec nous, tout particulièrement dans les travaux relatifs à l’équipement de la vie domestique. Madame Perriand possède dans ce domaine des qualités exceptionnelles d’invention, d’initiative et de réalisation. C’est elle qui avait l’entière responsabilité dans la réalisation de nos équipements domestiques. » De même, on a coutume d’attribuer à Jean Prouvé la bibliothèque dessinée pour la Maison de la Tunisie (1952), à Paris. Or, une « lettre de commande » de dessins par les Ateliers Jean Prouvé, à Maxéville (Meurthe-et-Moselle) ainsi que des esquisses de Perriand tendent à prouver que l’auteur en est la designeuse. Un cartel met d’ailleurs en garde le visiteur : « Les ayants droit de Jean Prouvé revendiquent pour ce dernier une part dans la création de la bibliothèque, ce qui est contesté par les ayants droit de Charlotte Perriand. » Ces différends entre ayants droit semblent toutefois perturber davantage les collectionneurs que les marchands…

Impact social
On pénètre dans l’exposition comme on entrait jadis dans l’appartement de Charlotte Perriand, place Saint-Sulpice (Paris-6e ), par le Bar sous le toit – représenté par une grande photographie en noir et blanc. Ce fameux bar en cuivre nickelé et aluminium anodisé qu’elle avait exposé au Salon d’automne de 1927 et qui, en outre, lui avait ouvert les portes de l’atelier Le Corbusier. Une voix – celle de Charlotte – accompagne le visiteur tout au long du parcours (dommage que les extraits soient si courts !). Photos, écrits, dessins et maquettes déroulent alors la chronologie Perriand. La France bien sûr, mais aussi, en 1940, le Japon (« Eux, c’est la philosophie du vide, nous, c’est l’indigence ! »), et, en 1962, le Brésil, pour l’appartement de fonction du directeur d’Air France, son mari : « J’aurais pu y mettre les mêmes meubles qu’au Japon, mais cela n’allait pas. J’ai quitté le purisme et j’ai donné un mouvement, cela correspondait mieux avec l’environnement, avec le paysage. » Toutes les pièces sont choisies : un siège pliable en bois, un paravent amusant, de sublimes tables « en forme », une bibliothèque en bois de jacaranda et jonc tressé, une potence d’éclairage pivotante, du mobilier des pavillons suisse et brésilien de la Cité universitaire, à Paris…
Dans un film – Charlotte Perriand et Les Arcs –, Charlotte raconte son  retour d’un  séjour à l’hôpital des Enfants malades, à Paris : « Lorsque je suis rentrée à la maison, il y avait trop de jouets, trop de meubles, trop de choses… » Pas étonnant alors si, dès la fin des années 1920 et pendant les années 1930, Perriand se penche sur le « logement minimum ». Il y aura d’abord L’élément biologique : la cellule de 14 m2 par habitant, puis le refuge Tonneau, la maison de week-end, la maison Forestière ou le refuge Bivouac. Chaque geste y est étudié à la loupe afin de réduire au maximum l’espace, le rendre le plus fonctionnel et le plus modulable possible. Des recherches qui lui serviront, plus tard, à équiper la cellule type de l’unité d’habitation de Le Corbusier à Marseille, ou ses projets savoyards, tels son chalet de Méribel-les-Allues et les stations de ski des Arcs (1967-1986).
Charlotte Perriand s’engage aussi, cela va de pair : elle participe au groupe français des CIAM (Congrès internationaux d’architecture moderne), adhère à l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires et, en 1936, lorgne du côté du Front populaire, évidemment. Son « art d’habiter » aura un réel impact social. Lorsqu’elle sent que la réflexion dévie quelque peu au profit des nantis, Perriand prend la plume pour remettre les pendules à l’heure. Ainsi, en 1935, elle envoie une lettre de neuf pages à Pierre Jeanneret (« Mon Vieux… »), soulignant : « plus directement dans la vie », « donner le goût au peuple » et « travailler pour l’homme »… Travailler pour l’homme, ce fut précisément là son plus grand écot.

NB : Charlotte Perriand est aussi exposée jusqu’au 14 janvier à la galerie Dowtown/François Laffanour  (33, rue de Seine, 75006 Paris, tél. 01 46 33 82 41).

Charlotte Perriand

- Commissaire de l’exposition : Marie-Laure Jousset - Nombre de salles : 9 - Nombre de pièces : une soixantaine, toutes originales

Charlotte Perriand

Jusqu’au 27 mars 2006, Centre Pompidou, galerie 2, place Georges-Pompidou, 75004 Paris, tél. 01 44 78 12 33, www.cnac-gp.fr, tlj sauf mardi 11h-21h, le jeudi nocturne jusqu’à 23 heures. Catalogue, 184 p., env. 230 ill., 29,90 euros, ISBN 2-84426276-7.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°227 du 16 décembre 2005, avec le titre suivant : Charlotte Perriand, designeuse moderne

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