Droits d’auteur

70 ans, ou plus ?

Le Journal des Arts

Le 6 janvier 2006 - 561 mots

Les prorogations liées aux faits de guerre doivent se cumuler avec la durée légale de protection.

Le législateur a accordé aux auteurs des délais de protection complémentaires pour compenser l’impossibilité d’exploiter durant les deux conflits mondiaux du XXe siècle. Ces prorogations sont de 6 ans et 152 jours pour les œuvres divulguées avant le 31 décembre 1920, et de 8 ans et 120 jours pour celles qui ont été divulguées avant le 1er janvier 1948. Elles s’ajoutaient à la durée « normale » de protection, qui était de 50 ans à compter du 1er janvier suivant la mort de l’auteur. Le délai a été porté à 70 ans à la suite d’une directive communautaire harmonisant la durée de protection.
Cet allongement a bénéficié à tous les auteurs encore protégés dans un pays de l’Union au 1er janvier 1995.  Ainsi, certaines œuvres tombées dans le domaine public, telles celles de Monet, sont revenues à la protection.

« Droits acquis »
Restait à savoir si ces prorogations de guerre s’ajoutaient au délai de 70 ans ou étaient absorbées par celui-ci. L’ADAGP (Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques) a engagé plusieurs procès pour faire reconnaître le cumul. Le 16 janvier 2004, la cour d’appel de Paris a refusé de condamner l’éditeur Hazan, soutenu par le Syndicat national de l’édition, pour la publication, sans autorisation ni rémunération, de livres et de cartes postales reproduisant des œuvres de Monet. Les éditeurs estimaient les prorogations de guerre contraires à l’objectif communautaire d’harmonisation de la protection. L’ADAGP invoquait « le respect des droits acquis », principe juridique empêchant la remise en cause de droits nés sous l’empire d’une règle ancienne après l’entrée en vigueur d’une loi nouvelle. La cour d’appel a statué que « rien ne saurait permettre de compter une seconde fois les prorogations de guerre déjà prises en considération et insusceptibles comme telles d’être assimilées à des droits acquis ». Les ayants droit du peintre en avaient effectivement déjà bénéficié à l’issue de l’ancien délai de 50 ans. Il était donc établi que les prorogations de guerre et la protection de 70 ans n’étaient pas cumulables.

Objectif d’harmonisation
Au contraire, le 12 octobre 2005, la même cour, formée par d’autres juges, a condamné la reproduction du portrait de Verdi peint par Boldini sur des CD et des affiches au motif que « les prorogations liées aux faits de guerre doivent se cumuler avec la durée légale de protection ». Elle a justifié le cumul par le fait que les prorogations de guerre n’ont pas été abrogées et constituent ainsi des droits acquis, et, de plus, parce que ce principe, rappelé par la directive elle-même, ne peut contrevenir à son objectif d’harmonisation.

Enjeu financier
Si cette dernière décision faisait autorité, l’équilibre entre l’intérêt du public et la nécessaire
récompense des artistes, fondement du droit d’auteur, serait rompu. La durée de la vie de l’auteur plus 70 ans suffisant à les rémunérer justement. Derrière le devoir de mémoire, l’intérêt est aussi financier. Eu égard au succès du chef de file des impressionnistes, l’enjeu est considérable pour l’ADAGP. Les conséquences seraient tout aussi importantes pour l’édition d’art, qui pourrait devoir payer rétroactivement des redevances, voire cesser la diffusion d’ouvrages.
L’ADAGP a porté l’affaire Monet devant la Cour de cassation. Les exploitants de Boldini useront probablement de cette même voie de recours. La bataille judiciaire n’est pas terminée.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°228 du 6 janvier 2006, avec le titre suivant : Droits d’auteur

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