Louis Paillard

Lumière du Nord

Par Gilles de Bure · Le Journal des Arts

Le 6 janvier 2006 - 646 mots

Sinistrée, vous avez dit sinistrée ? Au tournant des années 1990, mines fermées, métallurgie laminée, Valenciennes (Nord) cherche un nouveau souffle. Le moyen de retrouver, sinon une prospérité, du moins une réalité perdue. Ce sera, de façon inattendue, le choix de la culture. Un choix résumé, quinze ans plus tard, lors de l’inauguration de la nouvelle école supérieure des beaux-arts, installée dans les anciens bureaux d’Usinor-Sacilor – reconvertis par l’architecte Louis Paillard – par Patrick Roussiès, vice-président délégué à la Culture de Valenciennes Métropole : « Installer la création plastique là où palpitèrent les esprits industriels qui firent un temps la prospérité de la région est à l’évidence un symbole des plus forts. »
En matière de création plastique, Valenciennes n’en est pas à son coup d’essai : la patrie de Watteau et de Carpeaux possède le plus grand nombre de Prix de Rome (cinquante lauréats) et le deuxième fonds en quantité et en qualité de peinture flamande, conservé au Musée des beaux-arts, réhabilité par Christian Germanaz…
Choix de la culture, donc, avec un intense développement de lieux et d’activités, parmi lesquels la création d’une scène nationale, Le Phénix, due au talent d’Emmanuel Blamont, et la rénovation d’équipements tels le musée ou la bibliothèque. Ou avec le plus important budget culture de la Région Nord-Pas-de-Calais (17 %, contre 9 % pour celui de Lille), et la prise en compte d’une réalité prometteuse : sur les 192 000 habitants de l’agglomération de communes qui compose Valenciennes Métropole (dont 42 000 pour Valenciennes seule), 13 000 sont des étudiants.
Au centre de ce dispositif se trouve l’école supérieure des beaux-arts, qui accueille cent vingt étudiants dans le cadre de deux filières de formation, Art et Design d’espace. Les élèves sont ainsi remarquablement installés au cœur d’une symphonie de couleurs orchestrée par Louis Paillard. Cette opération a naturellement fait l’objet d’un concours sur invitation : six équipes ont été sélectionnées parmi les trente-huit dossiers déposés, et Louis Paillard l’a emporté face, notamment, à Canal (Patrick Rubin), Lacaton et Vassal et Rudy Ricciotti…
D’emblée, l’architecte va prendre en compte et respecter l’esthétique très industrielle de ce bâtiment, ceinturé de cent quatre-vingts fenêtres. Il va souligner ces dernières par des incises, lesquelles, déjà, décryptent à l’extérieur la nature interne du lieu, un peu à la manière de la place des Vosges, à Paris. Un budget de quatre millions d’euros pour un chantier de 6 000 m2 peut être considéré comme « limite ». Louis Paillard va s’en accommoder, non pas en jouant du « prix au m2 », mais en se concentrant sur cinq  espaces : le hall d’entrée, avec son escalier magistral entièrement recréé, la galerie d’exposition, la cafétéria, la bibliothèque et l’amphithéâtre-auditorium.
Là, c’est la couleur employée comme un matériau structurant qui va donner toute la mesure de l’intervention. Des rouges, des bleus, des verts en grands aplats impressionnants et un jeu de découpes basées sur le cercle et réalisées numériquement créent des effets cinétiques étonnants.
Pour le reste, Louis Paillard prend le parti d’une architecture « low-tech » et confie avoir élaboré une « stratégie d’économie esthétique ». Cette simplicité revendiquée, ponctuée et magnifiée par les ambiances colorées des cinq espaces majeurs, est certes génératrice de sensations, dispensatrice d’ambiances chaleureuse et contrastées. Mais, plus encore que cet exercice de style parfaitement maîtrisé – que Louis Paillard qualifie lui-même d’« oulipien » –, c’est l’utilisation que l’architecte fait de la lumière qui est ici éblouissante. Il a parfaitement su utiliser à l’intérieur les cent quatre-vingts fenêtres de la façade : en les dédoublant, en aménageant des percements, en multipliant les traversées, il a ainsi créé, à l’usage des habitants du lieu, des espaces « ouverts-fermés », des fondus enchaînés, des découvertes, qui organisent bien mieux que des circulations un parcours, un voyage.

À lire : Louis Paillard, Dialog. École supérieure des beaux-arts de Valenciennes, AAM éditions, ISBN 2-87143-166-3, 12 euros

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°228 du 6 janvier 2006, avec le titre suivant : Lumière du Nord

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