Photographies

Le visage social de Pierre Jahan

Le Journal des Arts

Le 6 janvier 2006 - 575 mots

Paris de nuit et les métiers de la batellerie en tirages d’époque au programme d’une exposition consacrée à un créateur trop peu connu.

 PARIS - Pierre Jahan est un photographe assurément peu connu. Disparu en 2003, à l’âge de 94 ans, sa discrétion l’avait peut-être éloigné de la critique ; si bien qu’il faisait partie de cette cohorte de photographes qui n’intéressaient personne jusqu’aux années 1980. Il reste donc à découvrir, à la faveur de l’engouement général pour la photographie « historique » et du retour en grâce (nostalgique) des années de l’après-guerre. C’est cette découverte que mène avec opiniâtreté Michèle Chomette, à Paris, puisqu’elle en est à sa cinquième exposition Jahan (la seconde depuis sa disparition). Elle met en vente des tirages originaux des années 1930-1950, en accord avec les ayants droit, qui ont d’autre part confié la conservation des archives Jahan à l’IMEC (Institut Mémoires de l’édition contemporaine) et la diffusion des images à l’agence Roger-Viollet. En cette période d’incertitude sur le devenir d’autres collections, confiées à l’État, cette position est à observer de près.
Installé à Paris en 1933, Pierre Jahan avait fait comme tout le monde de la photographie publicitaire (qui était alors en pleine expansion) et de la photographie d’illustration, celle qui permet de vivre de son métier, pour le magazine Plaisir de France plus particulièrement. Mais Jahan est toujours resté un peu marginal parmi les photographes. Ses aptitudes à la peinture, au montage, au graphisme, ses accointances constantes avec le surréalisme, ses liens avec Cocteau (pour La Mort et les Statues, en 1947, et Plain-Chant, édité seulement en 1987) faisaient de lui une figure intermédiaire entre l’artiste polyvalent et le photographe « appliqué », recherchant l’élégance, la finesse, la référence poétique et l’échappatoire au réalisme photographique.

Suggestivité de l’ombre
C’est bien là, par exemple, que l’exposition de la galerie Michèle Chomette devient piquante, car on y voit un Jahan insoupçonné dans trois domaines. Si l’on peut s’attendre à le voir photographier Paris de nuit comme tous ses collègues des années 1930, on n’aurait pas parié pour la marchande de saucisses, pour le coin des camelots, pour la baraque pompeusement intitulée Au Grand Débit. C’est le petit peuple de Paris que l’on rencontre, celui qui se presse à Pigalle, bien loin de l’esthétisme feutré du Jahan professionnel. Avec les Halles, le bal du 14 Juillet, l’hôtel du quai de Jemmapes, qui vaut bien l’atmosphère de celui du Nord, le dosage des lumières n’impose jamais d’effet débordant. L’autre surprise vient d’une longue séquence « reportage » inconnue sur la vie des bateliers, à vocation encore plus sociale puisqu’elle fut exposée en mars 1938 sur la péniche Je Sers vouée à l’entraide des gens du métier. Les ponts de péniches vus en plongée, les détails graphiques d’enroulement des cordages, les visages de bateliers en gros plan, et, surtout, les attitudes d’enfants dépenaillés, à l’air trop grave pour leur âge, donnent une tout autre image de ce photographe dont on connaissait déjà l’humanisme retenu. La batellerie, tout droit sortie du grand réalisme cinématographique, fait ici penser à la veine sociale de Kertész ou d’Alliance Photo, dans des tirages somptueux contrecollés sur carton. La visite se complète par des nus des années 1940, où la construction et la suggestivité de l’ombre restent la marque subtile de Pierre Jahan.

PIERRE JAHAN, HUMAIN, TROP HUMAIN

Jusqu’au 14 janvier, galerie Michèle Chomette, 24, rue Beaubourg, 75003 Paris, tél. 01 42 78 05 62, tlj sauf dimanche et lundi, 14h-19h.

PIERRE JAHAN

- Commissaire : Michèle Chomette - Nombre de photographies : 56

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°228 du 6 janvier 2006, avec le titre suivant : Le visage social de Pierre Jahan

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