Egypte

Quarante siècles vous contemplent...

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 6 janvier 2006 - 1166 mots

À l’ombre des pyramides de Gizeh s’élèvera en 2010 le Great Egyptian Museum.
Ce projet de 550 millions de dollars permettra de présenter 100 000 objets au public.

LONDRES - Les plans du futur Great Egyptian Museum (Grand Musée de l’Égypte), projet de 550 millions de dollars (466 millions d’euros) qui s’élèvera au pied des pyramides de Gizeh, près du Caire, viennent d’être rendus publics. Il s’agira de l’un des plus grands musées au monde, et, de loin, le plus vaste à être construit ad hoc. Cinq millions de visiteurs par an y sont attendus, ce qui le fera
entrer dans le cercle des institutions les plus fréquentées à l’échelon international. Il devrait exposer quelque 100 000 objets égyptiens.
Le Great Egyptian Museum ouvrira probablement ses portes en 2010, selon le directeur du projet, Yasser Mansour. Ce dernier se trouvait fin octobre à Londres pour en dévoiler les plans lors de la conférence annuelle de Museums Association, un regroupement international de musées. Le 12 décembre, l’esquisse finale a été présentée au ministre égyptien de la Culture.
Le nouvel édifice recueillera l’essentiel de l’imposante collection aujourd’hui abritée par l’Egyptian Museum, sur Tahrir Square, dans le centre du Caire. Ouvert en 1902 pour accueillir 10 000 pièces
archéologiques, ce musée a été rapidement saturé au fur et à mesure des nouvelles découvertes ; il compte actuellement 120 000 objets exposés pour des dizaines de milliers conservés dans ses réserves. Si l’institution du début du XXe siècle garde un charme suranné, ses vitrines et ses accès sont d’un autre âge et déçoivent la plupart des visiteurs. Les conditions d’exposition et de stockage sont de plus totalement inadaptées à la bonne conservation des œuvres. Ces seules dernières semaines, plusieurs antiquités importantes ont disparu ou ont été endommagées dans les réserves.

Vue sur les pyramides
Depuis longtemps, l’équipe du projet du nouveau musée souhaite l’installer près des pyramides de Gizeh, à quinze kilomètres du centre du Caire. En 2004, les pyramides ont accueilli plus de sept millions de visiteurs. Ceux-ci, pour la plupart, auraient également souhaité découvrir le trésor de Toutankhamon s’il avait été visible à quelques minutes du site. De vastes terrains ont par conséquent été réservés à deux kilomètres des pyramides, suffisamment proches pour offrir une vue sur ces monuments, assez loin toutefois pour que les nouveaux bâtiments ne défigurent pas ce paysage historique.
Les soucis de financement, les conflits politiques et les lourdeurs bureaucratiques ont freiné l’avancement de ce projet, pourtant décidé dès 1992. En mai 2003, le cabinet d’architectes Heneghan Peng de Dublin a remporté le concours international pour la conception d’ensemble du musée. La société londonienne Metaphor a pour sa part été retenue comme maître d’œuvre et principal
architecte d’intérieur. La mise en chantier du bâtiment principal devrait débuter en 2007.

Trouver les financements
La sélection des 100 000 objets de l’ensemble qui sera exposé au Great Egyptian Museum s’avère délicate. Il s’agira sans doute de la plus grande partie de la collection de l’actuel Egyptian Museum, même s’il est prévu de conserver ce lieu historique du centre du Caire pour y exposer environ 10 000 objets. D’autres pièces de musées régionaux devraient rejoindre le Great Egyptian Museum, en dépit des protestations inévitables que ces institutions formuleront si on leur confisque leurs objets les plus précieux.
Le principal point noir est, sans surprise, d’ordre financier, pour ce projet de 550 millions de dollars.
Une somme énorme dans un pays où le revenu annuel par habitant ne dépasse pas 1 500 dollars. Des soutiens étrangers ont été sollicités pour la moitié de ce montant – le gouvernement japonais pourrait ainsi faire un don important pour accompagner un prêt de la Japan Bank for International
Cooperation. Les Égyptiens espèrent pouvoir réunir eux-mêmes le solde, notamment à l’aide de fonds du gouvernement central. Les officiels attendent par ailleurs plus de 30 millions de dollars de recettes diverses de l’exposition « Toutankhamon », actuellement en tournée aux États-Unis (Los Angeles County Museum of Art, puis Museum of Art de Fort Lauderdale, en Floride, jusqu’au 23 avril 2006).
Si tout le monde s’accorde sur le fait que le Great Egyptian Museum donnera à l’Égypte le musée que ce pays mérite, de nombreuses interrogations demeurent. Ainsi, les difficultés pour trouver les financements nécessaires ne retarderont-elles pas exagérément sa construction ? Ou sa conception n’est pas elle-même trop ambitieuse ? L’avenir le dira.

Un musée pharaonique

Aux heures de pointe, le Great Egyptian Museum devrait recevoir trois mille cinq cents visiteurs à l’heure, soit un ou deux cars de touristes toutes les deux minutes. Les visiteurs seront dotés de « tickets malins » enregistrant leur langue et leur nationalité. La sécurité y sera « discrète et efficace ». Une façade d’onyx s’étirant sur six cents mètres en rendra l’entrée spectaculaire. La pierre translucide laissera pénétrer un peu de lumière durant la journée, et, après le coucher du soleil (le musée restant ouvert en soirée), la façade brillera. Les visiteurs entreront par la grande cour, que dominera une statue géante de Ramsès II – qui se dresse actuellement sur un grand carrefour près de la gare principale du Caire, où elle subit les atteintes de la pollution et des vibrations. On a beaucoup débattu sur les moyens de transporter cette statue de quatre-vingt-trois tonnes. Mais son arrivée spectaculaire à Gizeh marquera une étape symbolique importante dans le développement du Great Egyptian Museum. Depuis la cour principale, le grand escalier mènera la foule à l’étage supérieur par des marches ou des escaliers mécaniques, en lui procurant, est-il annoncé, l’équivalent des « scènes panoramiques ouvrant les épopées cinématographiques ». Cet escalier sera aussi ponctué de degrés plus élevés, qui serviront de socle à quatre cents statues de dieux, de pharaons et de sphinx. Celles-ci seront ordonnées chronologiquement, de sorte qu’en gravissant les marches les visiteurs remonteront le temps au fil des dynasties. Tout en haut, des baies vitrées offriront une vue sur les pyramides, distantes de deux kilomètres. Les objets seront exposés dans cinq immenses galeries ouvertes comptant chacune plus de 10 000 pièces. Leur disposition sera thématique : « Civilisation », « Scribes et connaissance », « Royauté et administration », « L’homme, la société et le travail », « Religion » et « La nation d’Égypte ». Le clou de la visite sera la salle de Toutankhamon, avec la présentation de près de quatre mille objets provenant de son tombeau. Le parcours s’achèvera par l’exposition des barques solaires construites pour les tombeaux des pharaons. La visite devrait durer en moyenne quatre-vingt-dix minutes, ce qui est peu pour un musée exposant 100 000 pièces. La foule se pressera pour voir Toutankhamon et les barques solaires, ce qui laissera environ une heure pour visiter les cinq salles principales. En pratique, bien sûr, les visites de groupe se feront à grande vitesse, pour ne s’arrêter que très brièvement sur les objets les plus grands et les plus spectaculaires. Le nombre de pièces exposées ravira surtout les spécialistes, qui pourront accéder facilement à la plus grande collection au monde d’objets égyptiens.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°228 du 6 janvier 2006, avec le titre suivant : Quarante siècles vous contemplent...

Tous les articles dans Patrimoine

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque