Mathieu Lehanneur

Si bien dans ses éléments

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 20 janvier 2006 - 678 mots

Sommes-nous prêts à accepter, dans nos intérieurs, des objets autonomes qui mèneraient leur propre vie, même s’ils sont censés améliorer la nôtre ? Rien n’est moins sûr et pourtant c’est ce que propose Mathieu Lehanneur, 31 ans, Grand Prix de la création 2006 de la Ville de Paris, section design, et auteur, entre autres, de la scénographie de l’exposition « John Maeda », actuellement présentée à la Fondation Cartier, à Paris (lire le JdA no 227, 16 décembre 2005, p. 17). Le projet s’appelle « Éléments ». Son but : « développer un habitat semblable à l’épiderme, réactif et capable d’une sensitivité et d’une réceptivité si aiguë de nos états qu’il peut réagir avec précision et célérité, et plus vite que notre corps. » En clair, une maison qui pallierait au déséquilibre physiologique de ses occupants (coups de pompe, baisse de vigilance…) et agirait en fonction pour recouvrer illico l’homéostasie – stabilisation, chez les organismes vivants, des différentes constantes physiologiques.

Les objets réagissent
« Éléments » se compose donc d’un quintet d’objets insolites qui œuvrent à notre bien-être. Il y a K comme kelvin, O (oxygène), dB (décibel), C° (Celsius) et Q (Quinton). Chacun d’eux est muni de capteurs qui relèvent en permanence la qualité de l’environnement domestique : air, lumière, son, température… En cas de carence (manque de lumière ou de chaleur, air vicié…), les objets réagissent aussitôt pour s’adapter de très près aux besoins de l’habitant. K – pourquoi d’ailleurs ne s’appelle-t-il pas LX pour Lux – se présente comme un oursin hérissé de fibres optiques et de cellules photoélectriques qui mesurent la lumière naturelle reçue au long de la journée. En cas d’insuffisance notoire, il propose des séances de rattrapage de lux, à raison de quelques secondes jusqu’à plusieurs minutes par jour. O, qui fait office de poumon domestique, ressemble à un organe relié à ses artères. Grâce à une sonde, il capte en permanence le taux d’oxygène dans l’air. Si déficit il y a, il déclenche un agitateur magnétique et une lampe qui favorisent la photosynthèse des micro-organismes qu’il contient – une algue : la Spirulina Platensis ou « spiruline » –, lesquels généreront à leur tour de l’oxygène pur. dB est une boule perforée avec moteur et mini-haut-parleurs intégrés, qui émet un son fabriqué appelé « bruit blanc » – somme de toutes les fréquences audibles par l’oreille humaine portées à la même intensité. Il capte le niveau sonore de l’habitat et, si le volume acceptable est dépassé, vient contrer la nuisance en émettant en continu ce « bruit blanc », lequel n’importune pas le cerveau humain. C° est une pyramide conique en élastomère, équipée d’une caméra thermique. Tel un radar, il perçoit les variations de température dans les corps à proximité immédiate et émet aussitôt une chaleur localisée par infrarouge en direction des zones froides. Enfin, Q est un dispositif de buses vaporisant du « plasma de Quinton », du nom de ce physiologiste français, René Quinton (1867-1925), qui inventa un mélange d’eau de mer stérilisée et d’eau distillée dont la concentration est équivalente à celle du plasma humain. Diffusé par micronébulisation à froid, pour être absorbé par les voies respiratoires et les pores de la peau, le Quinton « ne combat pas de microbes en particulier, mais donne au corps des moyens pour se défendre ».

La NASA elle aussi
La particularité de ces cinq objets est de n’être jamais actionnés par l’homme, et pourtant, nous ne sommes pas dans la science-fiction. La NASA, par exemple, étudie elle aussi actuellement les propriétés de la spiruline en vue de créer des écosystèmes clos pour les bases spatiales. Avec « Éléments », Mathieu Lehanneur déplace simplement les frontières du design vers des domaines moins balisés, voire immatériels. Ce ne sont pas les objets en tant que tels qui importent – leurs formes se révèlent d’ailleurs plutôt banales –, mais bien la connivence discrète que le designer cherche à installer entre l’homme et son environnement. Le design n’est alors plus un aboutissement, juste un intermédiaire. Le champ ouvert par ce type de recherches est assurément passionnant.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°229 du 20 janvier 2006, avec le titre suivant : Si bien dans ses éléments

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