Antiquités

Malaise à Malibu

Le Journal des Arts

Le 20 janvier 2006 - 812 mots

La Villa Getty rouvre après une décennie de restauration. L’événement a du mal à faire oublier le scandale parti d’Italie qui éclabousse actuellement l’institution californienne.

 LOS ANGELES - La réouverture le 28 janvier de la Villa Getty à Malibu (Los Angeles) aurait dû être une véritable fête. Le chantier de 275 millions de dollars (232 millions d’euros) du musée d’antiquités aura duré une bonne dizaine d’années. Si les salles rénovées offrent un cadre élégant à la remarquable collection du Getty, longtemps confinée dans des réserves, le procès intenté à Rome contre l’ancienne conservatrice Marion True (1) accusée de complicité avec des marchands pour l’achat d’œuvres volées destinées au musée, a transformé l’événement en symbole ambigu des maux qui frappent actuellement le marché des antiquités.
Tandis que les journaux américains titrent sur le procès, la communication désespérément optimiste du Getty tente de dissocier la réouverture des démêlés judiciaires. Ainsi, les représentants du musée refusent d’identifier, parmi les objets exposés, les quarante-deux pièces revendiquées par les Italiens, qui estiment qu’elles sont sorties illégalement de leur pays. Mais le mal est fait. L’ancien directeur du Metropolitan Museum of Art à New York (1967-1977), Thomas Hoving, ne mâche pas ses mots en surnommant la nouvelle Villa Getty de « musée du recel ».

Un théâtre romain
Édifiée à Malibu sur un terrain de 26 hectares dominant la côte Pacifique et acheté par J. Paul Getty en 1945, la villa est une reconstitution de la villa des Papyrus à Herculanum (Italie) datant du Ier siècle av.
J.-C. Elle a abrité le Getty Museum de 1974 à 1997, date de l’inauguration du monumental Getty Center de Brentwood (Los Angeles), conçu par l’architecte Richard Meier. Le département des antiquités du musée, son budget et l’équipe de la Villa seront placés directement sous la responsabilité du nouveau directeur, Michael Brand, qui vient de prendre ses fonctions. Celui-ci devra rapidement statuer sur le remplacement de Marion True, et décider s’il y a lieu d’étoffer l’équipe de conservation, qui compte aujourd’hui cinq collaborateurs.
En 1994, l’ancien président du Getty Trust, Harold Williams, avait embauché l’agence basée à Boston des architectes argentins Rodolfo Machado et Jorge Silvetti pour réorganiser la villa afin d’y exposer plus de 1 200 pièces de la collection Getty, elle-même forte de 44 000 œuvres d’art grec, romain et étrusque. Les architectes ont adjoint à la villa un théâtre romain en plein air de 450 places, qui a été baptisé du nom de Barbara Fleischman et de son défunt époux Lawrence. Ces administrateurs du Getty ont vendu au musée nombre d’antiquités dépourvues de provenance.

Thèmes transculturels
Un toit amovible fait désormais entrer la lumière dans l’atrium et un escalier de marbre, de bronze et de verre conduit à l’étage où les salles d’exposition complètement redessinées ont transformé l’ancien dédale de petites pièces sombres en un enchaînement logique de vastes espaces. La présentation rompt avec l’ordre chronologique des cultures, et a été ordonnée par sujet ou par matériau en thèmes transculturels touchant la mythologie, la religion, la littérature et la vie quotidienne.
La plupart des salles sont conçues autour d’œuvres célèbres : pour les « Dieux et déesses », les vedettes sont l’Aphrodite Getty, revendiquée par l’Italie, et le Zeus de Marbury Hall ; pour « Les athlètes et les Jeux », c’est le fameux Kouros Getty (décrit ici comme un « travail grec, d’environ 530 av. J.-C., ou réplique moderne »). Les cartels donnent de brefs renseignements sur les objets, avec des indications de provenance rares et fort vagues. La conservatrice qui a remplacé Marion True, Karol Wright, certifie que la présentation a été conçue au milieu des années 1990 et qu’aucun objet n’a été retiré à la suite des revendications italiennes. Mais la réouverture de la Villa ne pourra manquer de raviver la controverse.

(1) dont la dernière audience en date s’est déroulée le 13 janvier. Le verdict est attendu pour cet été.

Les objets illicites identifiés aux USA

- Musée Getty, Los Angeles (Californie) : 42 objets, dont 11 de la collection Fleischman - Metropolitan Museum of Art, New York : au moins 22 objets, dont le célèbre cratère d’Euphronios (VIe siècle av. J.-C.) représentant la mort de Sarpédon. - Museum of Fine Arts Boston (Massachusetts) : 31 objets dont un vase apulien à décor rouge, représentant des scènes athlétiques, et une jarre apulienne. - Cleveland Museum (Ohio) : une jarre à huile à décor noir (lekythos). - Toledo Museum of Art (Ohio) : une jarre à eau grecque (kalpis) représentant des nageurs et des dauphins. - Minneapolis Institute of Arts (Minnesota) : un vase grec décoré de scènes dionysiaques (Ve siècle av. J.-C.). - Princeton University Art Museum (New Jersey) : un vaisseau athénien pour refroidir le vin à décor rouge (psykter, Ve siècle av. J.-C.) ; un pot apulien pour transporter l’eau (loutrophoros, IVe siècle av. J.-C.). - Virginia Museum of Fine Arts, Richemond (Virginie) : 2 objets

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°229 du 20 janvier 2006, avec le titre suivant : Malaise à Malibu

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