Analyse

L’art actuel, enjeu national en Espagne

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 3 février 2006 - 583 mots

L’Espagne, dont on vante l’indéniable miracle économique, sait-elle défendre ses artistes ? À observer le soutien institutionnel en œuvre depuis 1987, notamment sur la foire ARCO de Madrid (lire p. 24), il est clair que l’art contemporain est un enjeu national dans ce pays. Un enjeu tel que, l’an dernier, institutions publiques et fondations privées s’étaient astreintes à acheter pour 1,5 million d’euros sur la foire madrilène. De même, 67 % des artistes actuellement visibles dans l’accrochage du Musée national Reina SofÁ­a de Madrid sont espagnols.

La « préférence nationale » a guidé la collection de la fondation Coca-Cola à Madrid, amorcée en 1995. Le financier Juan March Ordinas avait donné le ton du mécénat en créant, voilà cinquante ans, la fondation Juan March pour promouvoir l’art contemporain dans son pays. En faveur ou non des artistes locaux, le mécénat d’entreprise est particulièrement vivace en Espagne, d’autant plus que, depuis 2002, les firmes bénéficient de réductions d’impôts en échange de leurs investissements artistiques. Les grandes entreprises n’avaient pas attendu de tels avantages pour monter des collections. En 1982, la Caixa, la caisse d’épargne espagnole, s’est lancée dans ses premiers achats, formalisés trois ans plus tard sous la direction alors de María de Corral. L’idée était de placer l’Espagne sur la carte internationale en achetant simultanément des artistes ibériques et étrangers. Originellement de 600 000 euros, le budget annuel de l’établissement est aujourd’hui de l’ordre de 1,5 million d’euros. Tout n’est pas forcément pour le mieux dans le meilleur des mondes, puisque, en 2005, la Caixa a annoncé son souhait d’arrêter ses acquisitions pour se concentrer sur des œuvres sociales, une position sur laquelle elle est revenue in extremis.

Une multitude de lieux d’art ont aussi bourgeonné en vingt-cinq ans. L’annuaire publié cette année par l’ARCO relève en Espagne cent quatre-vingt-huit lieux d’art, certains entièrement orientés sur les artistes locaux. Une grande partie de ces espaces sont toutefois des coquilles vides. Comme l’indique Nimfa Bisbe, actuelle directrice de la collection de la Caixa, beaucoup de structures désargentées sont demandeuses d’expositions fournies clés en mains, voire de dépôts. De grands musées n’y rechignent pas non plus. La collection de la fondation Telefónica a ainsi été mise en dépôt à la Reina Sofía, au Musée d’art contemporain de Barcelone (Macba) et à l’Institut d’art moderne (IVAM) de Valence. La fondation de l’ARCO, qui débourse cette année 174 000 euros sur la foire (contre 60 000 euros en 1987), a installé deux cents œuvres issues de ses collections au Centro Gallego de Saint-Jacques-de-Compostelle. Le galeriste Michel Soskine (Madrid) regrette enfin que la valse des directeurs de musées à chaque changement gouvernemental freine une programmation à long terme. Face à l’arsenal institutionnel, le nombre de collectionneurs d’art contemporain y est infiniment plus modeste qu’en France. Les galeristes comme les madrilènes Helga de Alvear ou Leandro Navarro comptent d’ailleurs parmi les principaux acheteurs !

Du coup, faute d’une vraie puissance de ses marchands, l’Espagne exporte difficilement sa scène
artistique. Le cas du peintre Miquel Barceló, dont la cote est au beau fixe, ne saurait servir d’exemple. Certes, dans son ouvrage ARCO, art et marché dans l’Espagne démocratique, Nacho Ruiz rappelle que l’artiste a été repéré en 1982 par l’ancien directeur du Stedelijk Museum d’Amsterdam, Rudi Fuchs, lors de son passage à Madrid pour la foire et sa visite consécutive d’une exposition de la Caixa. Ce que l’on ne dit pas, c’est que son marché a surtout reposé sur le travail d’un galeriste suisse (Bruno Bischofberger), et non espagnol !

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°230 du 3 février 2006, avec le titre suivant : L’art actuel, enjeu national en Espagne

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