André Liatard, conservateur du Musée Faure d’Aix-les-Bains (Savoie)

Henriette Deloras, artiste des cabarets

Le Journal des Arts

Le 3 février 2006 - 388 mots

Chez Graff est un pastel de petit format (18 x 21 cm) réalisé en 1937 par Henriette Deloras. Il entre dans la collection du Musée Faure en 2005, à la faveur d’une donation du Lions Club d’Aix-les-Bains-Chambéry. L’œuvre porte le nom d’une grande brasserie parisienne de l’époque, et est caractéristique des scènes de la capitale croquées sur le vif par l’artiste lors de l’un de ses séjours parisiens.
Née en 1901 à Grenoble, Henriette Deloras fut l’élève, puis l’épouse, du grand peintre dauphinois Jules Flandrin, et elle suivit son maître à Paris à de nombreuses reprises entre 1923 et 1937. Sa courte carrière (elle mourut en 1941) accompagne celle de « son peintre » et lui permet de côtoyer Matisse, Bonnard, qui appréciait particulièrement ses croquis, et Picasso, qui lui conseilla de s’adonner à de grandes peintures à l’huile.
Henriette Deloras persiste cependant, à Grenoble ou à Paris, dans des instantanés rapides à l’écriture incisive de scènes de rues, de spectacles, et de cabarets, proches en cela de Toulouse-Lautrec.
Le sujet ici représenté, un couple attablé à une table de bistrot fut l’un de ses thèmes favoris. Le trait y est rapide, avec de petits écrasements de pastel qui forment les taches de couleurs donnant du dynamisme à l’image. La scène n’a en elle-même rien d’extraordinaire : un homme et une femme fumant, tout en consommant de la bière. Mais plus qu’une photographie, Henriette Deloras sait les entourer d’un charmant mystère en un halo un peu trouble. Toutes ses œuvres ponctuelles ont ce même parfum de fausse langueur passagère, et même lorsqu’un modèle posait pour elle (des danseuses de cabaret, comme la célèbre Aïcha), elle parvint toujours à inculquer à leur image quelque chose d’aérien et d’indéfinissable, toujours avec une grande rapidité d’exécution et énormément de dextérité.
Minée par une maladie persistante, et en proie jusqu’en 1931 à de grandes difficultés financières, Henriette Deloras logeait dans des chambres de bonne ou des hôtels borgnes, et se nourrissait de cafés et de pâtisseries, tout en continuant son inlassable quête d’images pittoresques. Son mariage avec Flandrin, en 1931, fut célébré par l’abbé-peintre Calès, en son église de Tencin près de Grenoble, et lui apporta plus de stabilité. Néanmoins, sa santé fragile devait la conduire à un décès prématuré.

André Liatard, conservateur du Musée Faure d’Aix-les-Bains, présente Chez Graff (1937) d’Henriette Deloras.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°230 du 3 février 2006, avec le titre suivant : Henriette Deloras, artiste des cabarets

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